Dix cordées de légende

5 juin 2016 - Pas de commentaire

Qu’elle soit en chanvre ou en nylon selon les époques, la corde est depuis toujours l’accessoire ultime de l’alpiniste. Mais sans le compagnon ficelé à l’autre bout, il faut bien avouer que l’objet perd de son charme… Convenons-en, l’alpinisme c’est comme le reste, c’est mieux à deux ! Voici, en guise d’argument, dix cordées qui en ont marqué l’histoire.

Louis Lachenal et Lionel Terray, la plus légendaire

Qui mieux que Lionel Terray lui-même pour présenter la plus célèbre cordée d’après guerre : « Possédant une adresse prodigieuse, une vitalité de bête fauve, un courage frisant l’inconscience, dans tous les terrains délicats ou instables, Lachenal était de loin le grimpeur le plus rapide et le plus brillant que j’aie jamais connu. Certains jours il était capable d’inspiration vraiment géniale, mais il peinait dans les passages athlétiques, et surtout son moral était instable. Impulsif et incroyablement optimiste, il manquait de patience, voire de persévérance et de réflexion, et le sens de l’itinéraire lui faisait gravement défaut. Moins doué que lui dans tous les domaines mais plus puissant et capable d’une résistance plus prolongée, plus opiniâtre et plus réfléchie, j’étais l’élément modérateur de notre équipe mais, me semble-t-il, je lui donnais la stabilité et la solidité indispensable à de grandes entreprises. »

Les grandes entreprises auxquelles Terray fait allusion dans cet extrait des « Conquérants de l’inutile », sont, pour les plus belles, la face nord des Droites, la Walker et, bien sûr, la deuxième de la face nord de l’Eiger avec, à chaque fois, des horaires à faire pâlir une formule 1. Mais en 1950, le pauvre Biscante revint dans un triste état de l’expédition à l’Annapurna. Sans ses pieds, il était désormais incapable de suivre Terray qui délaissa alors quelque peu les Alpes pour des cimes plus exotiques comme le Fitz Roy, le Makalu ou encore le Jannu.

Lachenal et Terray de retour de l'Annapurna
Lachenal dans les bras de Terray à leur retour de l’Annapurna. La fin de la plus célèbre des cordées…

Edmund Hillary et Tenzing Norgay, cordée éphémère mais historique

D’aucuns diront qu’ils n’ont grimpé qu’une seule fois ensemble, et encore, simplement sur la fin de l’ascension… Mais quelle ascension ! La première de l’Everest ! Excusez du peu ! La cordée Tom Bourdillon – Charles Evans aurait pu être à leur place si leur première tentative lancée trois jours plus tôt avait abouti. Mais les circonstances ont fait que c’est finalement Edmund Hillary et Tenzing Norgay qui ont récolté la gloire en ce 29 mai 1953 sur le Toit du Monde.

Ils ont bien sûr bénéficié du travail de toute une équipe, voire même de celui de l’expédition des suisses l’année précédente, mais le franchissement du ressaut qui porte aujourd’hui le nom d’Hillary fut tout de même une belle passe d’arme et leur donne indiscutablement le droit d’entrer au Panthéon des cordées de légende !

Edmund Hillary et Tenzing Norgay sur l'Everest
Hillary et Tenzing, one shot.

Joe Brown et Don Whillans, England generation

Dans les années 50 et 60, le Royaume-Uni a vu apparaitre une génération de grimpeurs exceptionnels. Pendant plus de vingt ans Chris Bonington, Doug Scott, Dougal Haston, Joe Brown, Don Whillans ou encore Ian Clough ont enflammé le petit monde de l’alpinisme par quelques réalisations de haute volée parmi lesquelles nous citerons bien volontiers la première de la face sud de l’Annapurna et la face sud-ouest de l’Everest.

Au sein de ce groupe prodigieux, Joe Brown et Don Whillans formèrent une cordée redoutable – et pas seulement dans la façon d’engloutir les bières – qui fit ses premières armes au Peak District dans le nord de l’Angleterre, au Pays de Galle et en Écosse, avant de s’attaquer aux Alpes où ils réussirent notamment en 1954 la troisième ascension de la face ouest des Drus ainsi que la première de la face ouest de l’aiguille de Blaitière. C’est au cours de cette ascension que Joe Brown laissa son nom à la fameuse « fissure Brown » qu’il réussit à franchir grâce aux cailloux que lui envoyait Don Whillans et qu’il bloquait dans la fissure pour ensuite y prendre appui. So British !

Lucien Bérardini et Robert Paragot, « la cordée des voyous »

Robert Paragot et Lucien Bérardini faisaient partie de la joyeuse bande de Bleausards qui débarquèrent dans les Alpes à l’aube des années 50 avec dans l’idée de bousculer un peu le train-train séculaire des guides Chamoniards. Quelques belles réussites plus tard, voici nos deux acolytes embarqués en 1953 pour l’expédition dirigée par René Ferlet dans la face sud de l’Aconcagua, en compagnie de Pierre Lesueur, Edmond Denis, Guy Poulet et Adrien Dagory. Berardini y laissera quelques phalanges, mais ça ne l’empêchera pas de faire ensuite équipe avec Paragot pendant vingt ans d’ascensions aussi brillantes qu’éclectiques : face nord du Grand Capucin en 1955, le Huascarán (6 768 m) au Pérou en 1966, le Makalu en 1971 mais aussi quelques belles premières dans les Dolomites.

Ils nous ont laissé un livre : Vingt ans de cordée paru en 1974 chez Flammarion et Jean Afanassieff leur a consacré un film au titre évocateur : La cordée des voyous.

Robert Paragot et Lucien Bberardini
Robert Paragot clope au bec, Lucien Berardini lunettes sur le nez. Mi-alpinistes, mi-gangsters.

Georges Livanos, Robert Gabriel… et Sonia !

J’ai déjà dit tout l’amour que je porte au Grec et à ses récits pleins de saveur et d’autodérision. Il ne faudrait cependant pas oublier que Georges Livanos n’était pas qu’un pitre, c’était aussi un formidable grimpeur qui pendant 30 ans, aura fait trembler les Calanques et les Dolomites à grands coups de marteau. Son partenaire de prédilection: Robert Gabriel. « Il était nul, à mon contact, il s’est bonifié » disait le Grec à propos de son ami, bonne pâte. Ensemble ils réussiront, entre autres, la terrible voie Cassin à la Cima Ovest puis la première de la Su Alto.

Et arriva la pétillante Sonia pour un ménage à trois dans un premier temps puis à deux après la retraite de Gabriel. « Un mètre cinquante de faible femme ignorant la difficulté, la fatigue, la peur, le froid, la soif, la faim » chargée du dépitonnage à la Marmolada ou lors de la répétition, vingt ans après, de la Su Alto. « Le couple le plus sestogrado du siècle », tout simplement…

Georges et Sonia Livanos
Sonia et son Grec de mari. Photo ? Robert Gabriel évidemment ! Photo extraite du livre « Au-delà de la verticale » de Georges Livanos.

Jean Couzy et René Desmaison, trois ans d’excellence

Elle n’aura duré que trois ans mais c’est peu dire que la fameuse Couzy-Desmaison aura fait des étincelles. Avant de partir pour le Makalu – qu’il gravira avec Lionel Terray en 1955 -, Jean Couzy propose à René Desmaison de faire équipe avec lui pour tenter la face ouest des Drus gravie seulement trois fois jusque-là : « Cette ascension réussie ensemble nous permit de juger de nos possibilités réciproques en terrain d’extrême difficulté. Nous étions conscients de former une cordée de toute première force. Les trois années suivantes devaient le prouver » écrira Desmaison dans « La montagne à mains nues ».

Et la suite, la voilà : première de l’arête nord de l’aiguille Noire de Peuterey, première de la face nord-ouest de l’Olan (la célèbre voie Couzy-Desmaison), première hivernale de la face ouest des Drus, première de l’éperon Marguerite dans la face nord des Grandes Jorasses. Leur belle histoire s’arrêta peu après cette dernière grande course de façon aussi brutale que tragique puisque Jean Couzy fut tué par une chute de pierre dans le massif du Dévoluy le 3 novembre 1958.

Peter Boardman et Joe Tasker, en style alpin léger

Une première rencontre en 1971 dans la face Nord des Droites et une première expédition commune en 1976 au Changabang (6 864m). Leur crédo ? Le style alpin léger. Leur fantastique ascension du Kangchenjunga en 1979 reste aujourd’hui une référence en la matière. Ces deux-là étaient inséparables jusque dans la mort qui les emporta en 1982 alors qu’ils tentaient de gravir l’Everest par l’arête nord-est au cours d’une expédition britannique dirigée par Chris Bonington.

« Boardman-Tasker » est aujourd’hui un prix littéraire qui récompense les meilleurs livres de montagne en Angleterre.

Peter Boardman et Joe Tasker au Kangchenjunga en 1979
La cordée Boardman-Tasker. Cette photo mythique a été prise par Doug Scott au Kangch’ en 1979.

Reinhold Messner et Hans Kammerlander, des 8000 et encore des 8000

Lorsque, en 1982, il repère le jeune Hans Kammerlander, Reinhold Messner est déjà un immense alpiniste qui a escaladé neuf des quatorze 8 000 de la planète. Kammerlander va l’aider à boucler la boucle mais pas seulement, car s’ils vont gravir ensemble les cinq 8 000 manquants à Messner (Cho Oyu, Annapurna, Dhaulagiri, Lhotse et Makalu), leur cordée est aussi connue pour avoir réalisé la fameuse traversée des deux Gasherbrum (8 068 m et 8 035 m) d’une traite, sans retour à un camp de base en 1984. Cet exploit monumental fut suivi depuis le camp de base par Werner Herzog qui en tirera le film « La montagne lumineuse ».

Leur belle histoire prendra fin en 1986 après le dernier 8 000 Messner mais Kammerlander, pris par le virus, cherchera, lui aussi, à faire les quatorze. La tragédie vécue au Manaslu en 1991 – mort de deux de ses amis – lui interdira cependant de revenir sur cette montagne…

Reinhold Messner et Hans Kammerlander au Gasherbrum II en 1984
Reinhold Messner (à gauche) et Hans Kammerlander en bleu de travail au Gasherbrum II (1984). Source: kammerlander.com.

Jerzy Kukuczka et Voytek Kurtyka, la cordée magique

Dans les années 80, l’alpinisme polonais a connu son âge d’or et on ne compte plus les fantastiques réussites des grands noms que sont Wielicki, Rutkiewicz, Kukuczka ou Kurtyka. L’association, pendant trois ans, de ces deux derniers représente certainement l’apogée de cette époque bénie de l’himalayisme. C’est une lettre envoyée par Kurtyka qui va tout déclencher : « Je suis au pied de la face ouest du Makalu avec Alex MacIntyre et René Ghilini. Je crois que c’est faisable. Je t’attends. » Kukuczka ira finalement seul au sommet du Makalu mais à partir de 1982, Jerzy Kukuczka et Voytek Kurtyka vont former une « cordée magique » qui les conduira notamment au sommet du Broad Peak et des deux Gasherbrum. Leur plus belle réalisation restant certainement la traversée des trois sommets du Broad Peak en 1984. Cinq jours en autonomie pour parcourir dix kilomètres à une altitude défiant toute concurrence.

Sur ce dernier exploit, les deux hommes décident de mettre fin à leur collaboration. Kukuczka vise désormais les quatorze 8000 tandis que Kurtyka préfère privilégier les belles ascensions.

Jerzy Kukuczka et Voytek Kurtyka
Jerzy Kukuczka (à droite) et Voytek Kurtyka. Photo tirée du film « Art of Freedom » qui retrace l’histoire de l’alpinisme polonais.

Erhard Loretan et Jean Troillet, l’Everest en 43 heures

Dans sa quête des quatorze 8 000, le phénoménal alpiniste suisse Erhard Loretan aura connu plusieurs compagnons de cordée parmi lesquels André Georges, Pierre Morand, Pierre-Alain Steiner ou encore le polonais Woytek Kurtyka. Mais celui qui restera comme son plus fidèle allié, c’est sans aucun doute Jean Troillet. Ils ont ensemble atteint huit sommets de plus de 8 000 mètres, toujours en style alpin, parfois en hiver comme au Dhaulagiri en 1985, et souvent par des voies nouvelles comme au Shishapangma ou au Cho Oyu.

Mais l’exploit qui a certainement le plus marqué leur dix ans d’expéditions communes, c’est évidemment leur mythique ascension de l’Everest en 1986 : 43 heures aller-retour via le couloir Hornbein. La descente jusqu’au camp de base effectuée en glissant sur les fesses en trois heures seulement n’est à montrer dans aucune école d’alpinisme !

Jean Troillet et Erhard Loretan
Jean Troillet (à gauche) et Erhard Loretan, les patrons ! Merci au site memorial-loretan.ch pour la photo.

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