La légende de l’alpinisme en dix photos

4 janvier 2016 - 6 commentaires

Perche à selfie et autre GoPro n’ont pas toujours équipé les alpinistes lors de leurs promenades en altitude. L’histoire de l’alpinisme est pourtant riche en clichés légendaires souvent pris sur le vif mais parfois aussi savamment mis en scène. J’en ai choisi dix de manière tout à fait subjective en essayant, à chaque fois, d’en trouver la date, l’auteur et le contexte mais j’ai quelques manques… Et si le cliché le plus légendaire d’entre tous était encore dans sa boite, quelque part sur le versant nord de l’Everest, non loin des restes congelés de Sandy Irvine ?

1. Hillary et Tenzing en route pour le sommet de l’Everest

La photo a été prise le 28 mai 1953 par Alfred Gregory, le photographe officiel de l’expédition. Ce jour-là, le camp IX sera installé à 8 504 mètres d’altitude. On peut donc penser qu’ils sont en train de marcher vers le futur emplacement de ce camp. Hillary, au premier plan, semble écrasé par le poids de sa bouteille d’oxygène. Chose curieuse: aucun des deux alpinistes ne porte de gants… Le lendemain, les deux hommes seront sur le toit du monde.

Hillary et Tenzing - Alfred Gregory

2. Everest 1996, la photo de groupe avant le drame

Regroupés autour de Rob Hall leur chef d’expédition, ils sont souriants, décontractés et prêts à se lancer à l’assaut de leur rêve. Au retour au camp de base, quatre d’entre eux (Rob Hall, Doug Hansen, Andy Harris et Yasuko Namba) manqueront pourtant à l’appel, victimes d’une des plus célèbres tragédies de l’histoire de l’alpinisme. Difficile de dater précisément la photo mais elle a très certainement été prise aux alentours du 12 avril 1996. Dans le film « Everest » de Baltasar Kormákur, c’est Rob Hall qui prend lui même la photo grâce à un retardateur mais le site markhorrell.com l’attribue à Caroline Mackenzie, médecin du camp de base.

Tragédie Everest 1996
Au premier rang de gauche à droite: Doug Hansen, Susan Allen, Jon Krakauer, Andy Harris, Rob Hall, Frank Fischbeck et Yasuko Namba.
Au second rang de gauche à droite: John Taske, Stuart Hutchison, Helen Wilton, Beck Weathers, Lou Kasischke et Mike Groom.

3. Gaston Rébuffat sur l’Aiguille de Roc et dans l’espace

Cette photo de Gaston Rébuffat sur l’Aiguille de Roc a fait le tour du monde et même de l’univers puisqu’elle a été choisie par la NASA pour faire partie du programme Voyager lancé en 1977. Elle fait partie du panel de photos choisies par les scientifiques pour montrer à d’éventuels extraterrestres les plus belles réalisations humaines. Rébuffat avait réussi la première de ce pic en 1944 avec Edouard Frendo mais la photo a été prise par Georges Tairraz en 1953.

Gaston Rébuffat sur le pic de Roc - Georges Tairraz

4. Bonatti, dans son canapé au Cervin

Cette photo a été prise en février 1965 par Philippe Le Tellier pour Paris-Match (depuis un hélicoptère ?). Avant de faire ses adieux à l’alpinisme de haut niveau, Walter Bonatti réussit une dernière ascension mythique: la première hivernale et en solitaire de la face nord du Cervin. Nous le retrouvons ici confortablement installé pour la nuit en train de déguster la pizza quatre fromages qui vient de lui être livrée. Accroché à son sac à dos bleu, le petit ours en peluche nommé « Zizi », confié par le fils de son ami Daniel Pannatier pour l’occasion. Incroyable contraste entre la sérénité affichée par le légendaire alpiniste et l’incommodité de l’installation! Le commentaire de la photo sur le site GettyImages.fr pourrait cependant laisser penser qu’il s’agit d’une reconstitution.

Bivouac de Bonatti au Cervin

5. Louis Lachenal, héros mutilé sur le tarnac

J’ai longtemps hésité entre cette photo et celle de Maurice Herzog brandissant son piolet au sommet de l’Annapurna un mois et demi plus tôt. J’ai finalement choisi celle-ci pour offrir à Lachenal l’hommage que beaucoup ont oublié de lui rendre. La moustache est joliment taillée mais le regard inquiet et les pieds bandés ne trompent pas: l’Annapurna a fracassé le pauvre Biscante… « L’infatigable Terray », comme l’appellera souvent Herzog dans « Annapurna, premier 8000 », semble déjà en train de raconter son périple aux journalistes. La photo a été prise à leur descente d’avion à Orly le 17 juillet 1950 par… Crédits photo : Rue des Archives/AGIP.

Lachenal et Terray de retour de l'Annapurna

6. Jean-Christophe Lafaille au sommet de l’Annapurna

Celle-ci je l’ai choisie pour le côté quasi extraterrestre de l’alpiniste-astronaute qui semble se gratter le bout du nez depuis la stratosphère. Ce cliché de Jean-Christophe Lafaille au sommet de l’Annapurna a été pris le 16 mai 2002 par Alberto Iñurrategi son compagnon de cordée. En 1992, sur cette même montagne, Lafaille avait vu disparaitre son ami Pierre Béghin dans des circonstances tragiques. Atteindre ce sommet dix ans plus tard lui permit d’exorciser enfin quelques vieux démons… Cette photo illustre la couverture du livre dans lequel il raconte cette dramatique ascension: « Prisonnier de l’Annapurna ».

Jean-Christophe Lafaille au sommet de l'Annapurna

7. Reinhold Messner au sommet du Nanga Parbat

Nous sommes le 9 août 1978. Quelques mois à peine après être parvenu au sommet de l’Everest sans oxygène, Reinhold Messner vient de réussir un autre exploit inouï: la première ascension en solitaire d’un 8 000 avec le Nanga Parbat par le versant du Diamir. Cette photo, choisie pour la couverture de son livre « Solo », a été prise par Messner (forcément) au moyen déclencheur automatique. Ne semble-elle pas sortir tout droit d’un clip de Daft Punk?

Reinhold Messner ai sommet du Nanga Parbat

8. René Desmaison et le sauvetage controversé aux Drus

En août 1966, deux alpinistes allemands se retrouvent bloqués sur une vire dans la fameuse face ouest des Drus. Contre l’avis des secours officiels, René Desmaison lance une équipe de sauvetage (avec notamment Gary Hemming) et parvient à rejoindre les alpinistes en difficulté. La polémique enfle lorsqu’il vend par la suite son reportage à Paris-Match qui affichera en Une du numéro du 3 septembre cette photo prise par Desmaison (Je l’ai volée sur le blog « La maison de la montagne » qui permet de feuilleter ce fameux magazine). Imaginez-vous que les deux gars assis par terre viennent de passer cinq jours sur ce magnifique emplacement de camping… le casque est un peu de traviole et le sourire crispé mais vous noterez tout de même, au second plan, l’effet bleu-blanc-rouge de circonstance.

Sauvetage Desmaison aux Drus
Les sauveteurs François Guillot et Gary Hemming debouts au premier plan. Assis, les deux allemands Heinz Ramisch et Hermann Schriddel.

9. Embouteillage sur l’Everest

Il y avait pléthore de photographes amateurs ce jour-là sur les pentes de l’Everest mais d’après le site National Geographic, l’auteur de ce cliché pathétique est un certain Subin Thakuri pour le compte de l’agence Utmost Adventure Trekking. En ce 19 mai 2012, 234 personnes qui auront eu la patience de faire la queue pendant des heures au ressaut Hillary, atteindront le toit du monde. Quatre trouveront la mort… Cette photo illustre les expéditions commerciales sur l’Everest dans ce qu’elles ont de plus grotesque. Ça aussi ça fait partie de l’histoire…

Embouteillage sur l'Everest

10. Ueli Steck, un selfie record sur l’Eiger.

En 2013 Ueli Steck s’était attiré les foudres de certains en prétendant avoir atteint le sommet de l’Annapurna sans en rapporter de preuve formelle. Le 17 novembre 2015, un jour après avoir repris le record de la face nord de l’Eiger à Dani Arnold, « The Swiss Machine » remit les pendules à l’heure en publiant sur sa page Facebook un selfie mémorable: 2 heures 22 minutes et 50 secondes. Qui dit mieux ?

Ueli Steck record Eiger

6 Commentaires

  • pascaline - 11 janvier 2016 à 16 h 26 min

    Bravo !

    Très bon choix de photos, j’adore.

  • fgouy - 21 avril 2016 à 22 h 00 min

    Photo 8, rendons à César… « Contre l’avis des secours officiels, René Desmaison lance une équipe de sauvetage (avec notamment Gary Hemming) » Rectification : c’est Gary Hemming qui a monté et lancé une équipe de sauvetage (Guillot, Bodin, Mauch, Burke, Baur) avec l’accord de l’EMHM qui pilotait les secours(et qui leur a fourni un poste de radio). Pour la petite histoire François Guillot a méné dans le mauvais temps l’ascension en tête du début à la fin. Desmaison ne les a rejoint de son propre chef que dans l’après midi du premier jour en compagnie de Mercié et seulement sans l’accord sa tutelle,la compagnie des guides, dont il faisait partie et qui n’avait pas encore décidé de prendre part au sauvetage. (source : rencontre avec Guillot, Mauch et Baur avril 2016 et « In extremis » de Blaise Agresti)
    Desmaison a fait des clichés en cours de sauvetage, publiés ensuite par Paris Mach.

  • thomas - 22 avril 2016 à 18 h 37 min

    Merci fgouy pour ces précisions !

  • Onofre Jaime - 23 avril 2016 à 14 h 00 min

    En ligne avec l’intro, « Et si le cliché le plus légendaire d’entre tous était encore dans sa boite, quelque part sur le versant nord de l’Everest » je vous suggère de lire Le sommet des dieux – superbe BD qui suit cette histoire.
    Très bon choix de photos ! Merci !

  • thomas - 23 avril 2016 à 14 h 09 min

    Merci pour ton commentaire !

    Je parle du « Sommet des Dieux » dans un article consacré à la montagne dans la bande dessinée: http://summit-day.com/montagne-bande-dessinee/

  • alain cokkinos - 23 juin 2016 à 0 h 46 min

    Exploits authentiques, déformés,qui peuvent parfois tourner à des mensonges , l’ oubli fréquent de mentionner que nous n’étions pas les seuls, et que les cordes fixes placées dans les endroits difficiles, ont permis des ascensions de 8000, en « style alpins, tout en utilisant les tentes, les vivres, les cordes des expéditions lourdes, ont été courantes dans les années 80.
    Le « commercial » à cette époque se limitait à un millionnaire, entourés de deux guides pros, et de nombreux porteurs d’ altitude, rarement mentionné en ce temps là.
    alain

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