Le secours en montagne, toute une Histoire !

16 mars 2016 - 3 commentaires

Aussi surhommes soient-ils, quand il s’agit de se mettre dans la panade, les alpinistes ne sont pas les derniers. Et comme on ne peut pas toujours compter sur Sam le pompier, il n’est pas rare que certaines aventures finissent en eau de boudin… Voici une petite chronologie des tentatives de sauvetage en montagne – plus ou moins réussies – les plus marquantes de l’Histoire.

1936 : Toni Kurz survivant éphémère sur la face nord de l’Eiger

Deux ans avant la célèbre première d’Anderl Heckmair sur la face nord de l’Eiger en 1938, une cordée de quatre alpinistes fit une tentative pour le moins dramatique. Il y avait là Toni Kurz et Andreas Hintertoisser, deux cracks allemands rejoints fortuitement par deux Autrichiens moins expérimentés: Willy Angerer et Edi Rainer. C’est le gardien du fameux chemin de fer de le Jungfrau qui alerta les secours en entendant leurs cris de détresse au troisième jour de leur ascension. Mais lorsque les guides Hans Schlunegger, Arnold Glatthard et Chrisitian et Adolphe Rubi arrivèrent à proximité, seul Toni Kurz était encore en vie… une avalanche, une chute de pierre et un dévissage avaient eu raison des trois autres…

Malheureusement les sauveteurs restèrent bloqués à 100 mètres du pauvre Toni qui, sans corde, ni piton pour descendre, dut subir un quatrième bivouac. Le lendemain, après de plusieurs heures d’efforts harassants, guidé par les quatre secouristes, il réussit tant bien que mal à assembler quelques bouts de corde pour enfin amorcer sa descente mais au moment d’effectuer la jointure, ses dernières forces l’abandonnèrent soudainement et il mourut dans cette dernière parole d’une grande sincérité: « je ne peux plus ». Son corps sans vie resta ainsi pendu au bout de la corde et les touristes eurent tout le loisir de l’observer pendant plusieurs jours via la longue vue de l’auberge de la Kleine Scheidegg, jusqu’à ce qu’une nouvelle cordée finisse par venir aimablement le décrocher.

Toni Kurz - Eiger 1936
Toni Kurz, la mort suspendue…

1956 : Vincendon et Henry naufragés du Mont-Blanc

Jean Vincendon et François Henry étaient deux jeunes alpinistes un peu trop ambitieux qui, ne sachant trop comment faire parler d’eux, se mirent dans de beaux draps en tentant de gravir la Brenva en hiver… C’est peu dire que la tentative mise en œuvre pour leur porter secours déclencha une véritable hystérie dans les rues de Chamonix. Car avant que l’armée ne prenne les choses en main à grands coups d’hélicoptères, les guides de Chamonix se renvoyèrent la balle un grand moment pour décider lesquels d’entre eux iraient au charbon, au grand dam de Lionel Terray qui, passablement irrité, lança une expédition pédestre rapidement avortée. Et quand, après plusieurs jours de palabres, les deux malheureux virent finalement le Sikorsky S58 de l’armée s’écraser à leurs pieds gelés, l’histoire tourna au désastre, car en plus des deux imprudents, il fallait maintenant secourir les deux pilotes, le Commandant Alexis Santini et l’Adjudant André Blanc, tout sauf des montagnards… Il faudra huit heures aux guides pour les trainer jusqu’au refuge Vallot où un autre hélicoptère, de type Alouette, plus adapté à ce genre de manœuvre en montagne viendra les chercher deux jours plus tard, une fois le mauvais temps passé. Mais pour les deux jeunes alpinistes restés dans l’épave du Sikorsky, c’était trop tard… le froid et la fatigue avaient eu raison de leur admirable résistance…

C’est suite à cette affaire que sera créé, en janvier 1957, le fameux Peloton de Gendarmerie de Haute Montagne (le PGHM) de Chamonix.

Mon article complet sur cette sordide histoire: Vincendon et Henry, un Nöel en enfer

Le sauvetage de Vincendon et Henry
Le ballet des hélicoptères sous les yeux des badauds.
Merci à Yves Ballu (auteur de « Naufrage au Mont-Blanc » aux Editions Glénat) pour la photo.

1957 : cinquante sauveteurs pour Claudio Corti à l’Eiger

21 ans après la tragédie de Toni Kurz et ses camarades sur la face nord de l’Eiger, c’est un nouveau drame qui s’est noué en ce mois d’août 1957 sur « l’ogre » suisse. Comme en 1936, ils étaient quatre: les Italiens Claudio Corti et Stefano Longhi, les Allemands Gunther Nothdurft et Franz Mayer. C’est les observateurs de la terrasse de de l’auberge de la Kleine Scheidegg qui vont déclencher les secours en constatant l’extrême lenteur de la cordée italo-allemande. Mais les guides suisses avaient prévenu: se lancer dans cette ascension est une pure folie, ne comptez-pas sur nous pour venir vous chercher!

C’est ainsi qu’une gigantesque cordée internationale comprenant notamment Lionel Terray – vainqueur de la face nord avec Lachenal en 1947 – et Riccardo Cassin s’organise afin de leur venir en aide. Quelques heures plus tard, près de cinquante sauveteurs de toutes nationalités se retrouvent au sommet de la paroi et envisagent de descendre l’un d’entre eux dans la face nord au moyen d’un treuil. C’est l’Allemand Alfred Hellepart qui s’y colle mais lorsqu’il arrive sur les lieux du drame, il ne trouve qu’un seul survivant: Claudio Corti. Que sont devenus les autres ? Mystère… Corti, à bout de force, sera finalement hissé sur le dos d’Hellepart qui réussira à l’amener jusqu’au sommet où il sera pris en charge par les autres secouristes. Incapable de dire ce qu’il est advenu de ses compagnons, Corti, devenu à moitié fou, « semble beaucoup moins préoccupé du sort de ses compagnons que de savoir si son ascension sera considérée comme la première italienne de l’Eigerwand »*. Grâce au travail prodigieux des nombreux secouristes lors de la descente, il sera finalement ramené sain – de corps seulement – et sauf dans la vallée. Les corps de ses camarades seront retrouvés des années plus tard en piteux état…

Jack Olsen a consacré un livre à cette tragique aventure: Quatre hommes sur l’Eiger – Edition Hoëbeke (2009)

* Les conquérants de l’inutile – Lionel Terray

Claudio Corti secouru sur l'Eiger
« Magne-toi Alfred, on peut péter un record ! »

1966 : René Desmaison et la controverse des Drus

Un peu à la manière de Vincendon et Henry dix ans plus tôt, l’histoire de ce sauvetage légendaire trouve sa source dans l’imprudence de deux alpinistes allemands un peu justes qui allèrent se fourvoyer dans la redoutable face ouest des Drus au mois d’août 1966. Bloqués sur une vire étroite au beau milieu de la paroi, leur situation pour le moins précaire ne tarda pas à préoccuper l’ensemble des montagnards de la vallée de Chamonix. C’est l’EHM qui prit d’abord les choses en main en envoyant un groupe de sauveteurs dont l’idée était d’atteindre le sommet via la voie normale puis d’utiliser un treuil pour tenter d’atteindre nos deux couillons aux forces faiblissantes. Mais les conditions météo déplorables les empêchèrent d’aller au bout de leur projet. D’autres cordées d’alpinistes de haut niveau s’improvisèrent alors pour tenter le coup en passant directement par la face ouest, et ce, en dépit des réserves émises pas les autres guides et notamment Gérard Devouassoux qui aurait aimé qu’on écoute un peu plus ses consignes… Parmi eux se trouvaient Gilles Bodin, François Guillot, Lothar Mauch, Mick Burke mais surtout Gary Hemming et René Desmaison, alors au faîte de leur gloire. Ils finirent par atteindre les deux rescapés le 21 août et effectuèrent la jonction avec le groupe de l’autre versant qui les aida pour la descente au cours de laquelle Wolfgang Eggle, alpiniste allemand qui s’était joint spontanément aux sauveteurs, chuta mortellement… Les deux alpinistes naufragés furent cependant ramenés à bon port après plusieurs jours d’enfer sur leur minuscule plateforme.

C’est ce sacré René Desmaison qui déclenchera ensuite la polémique en vendant son reportage photo à Paris-Match. Cet acte odieux lui vaudra d’être radié de la compagnie des guides de Chamonix mais fit le bonheur des passionnés qui purent ainsi se délecter de son récit dans un numéro collector que vous pouvez consulter ici.

Sauvetage Desmaison aux Drus
« Souriez les gars, c’est pour Paris-Match ! » Photo: René Desmaison – Paris-Match du 3 septembre 1966

1971 : René Desmaison et Serge Gousseault dans l’enfer de la Walker en hiver

Après avoir été la vedette contestée du sauvetage des Drus en 1966, René Desmaison va, cette fois-ci, se retrouver de l’autre côté de la barrière, dans le rôle de la victime… En février 1971, il part à l’assaut de la Walker aux Grandes Jorasses pour tenter la directissime en hivernale. Un projet certainement trop ambitieux pour son compagnon de cordée, le jeune et trop tendre Serge Gousseault qui finira par mourir de froid et d’épuisement à 80 mètres du but, sur l’épaule d’un Desmaison impuissant. De la tentative de sauvetage naitra une nouvelle polémique: Desmaison, qui sera finalement secouru par son ennemi juré Gérard Devouassoux, met en cause la lenteur des secours et prétend que Maurice Herzog, alors maire de Chamonix, a voulu lui faire payer l’histoire des Drus. Un hélicoptère avait en effet survolé les deux hommes alors qu’ils étaient en difficulté mais le pilote aurait mal interprété les signaux de détresse… Dans la vallée, le bruit d’une nouvelle frasque de René l’embrouille ne tarda pas à courir… de là à penser que le pauvre Gousseault fut victime, en plus de la rigueur de l’hiver, de la réputation de René Desmaison, il n’y a qu’un pas…

La version de René himself est à retrouver dans son best-seller: 342 heures dans les Grandes Jorasses.

342 heures dans les Grandes Jorasses - René Desmaison

1996 : Beck Weathers, le miraculé de l’Everest

Beck Weathers faisait partie de la fameuse expédition commerciale de Rob Hall sur l’Everest en 1996. Perdu dans la tempête avec plusieurs de ses camarades, il a survécu de façon tout a fait miraculeuse à une nuit en extérieur dans le blizzard. Alors que tout le monde le croyait mort, comme beaucoup de ses camarades, il fit un retour improbable au camp du col sud, seul comme un grand, debout sur ses guiboles, seules parties de son corps encore valides. Ceux qui le récupérèrent, incrédules, le placèrent du mieux qu’ils purent dans une tente aux allures de cercueil et allèrent se coucher en le laissant mourir en paix. Mais le lendemain matin, il bougeait encore le bougre ! De façon incroyable, il fut même capable de se lever et de marcher !

Les survivants de la tragédie l’aidèrent alors à redescendre vers les camps inférieurs. L’état de ses gelures aux bras et aux visages nécessitant des soins lourds et immédiats, un hélicoptère fut appeler à la rescousse et, pour la première fois de l’histoire, un pilote réussit l’exploit de poser sa machine au-dessus de l’Ice fall, à plus de 6 000 mètres d’altitude. C’est le pilote népalais Madan KC qui fut l’auteur de cette remarquable prouesse. Beck Weathers finit par s’en tirer mais il dût être amputer du bras droit, de tous les doigts de la main gauche et du nez…

Beck a raconté son histoire dans un livre paru récemment aux éditions Glenat : Laissé pour mort à l’Everest. Mais pour tout savoir de la tragédie de 1996, un livre, un seul, cultissime : Tragédie à l’Everest – Jon Krakauer.

Beck Weather - Everest 1996
« Je sens un pouls ! Tu déconnes ?!! » – Beck Weathers pris en charge par Ken Kamler, médecin du camp 2. Source: dailymail.co.uk

2013 : Gautam Sudarshan, hélitreuillé à 7 800 mètres d’altitude sur l’Everest

Le 21 mai 2013, le record d’altitude pour un hélitreuillage a été battu par le pilote italien Maurizio Folini. Il a en effet réussi l’exploit de secourir Gautam Sudarshan, un alpiniste népalo-canadien, à 7 800 d’altitude sur la voie normale de l’Everest, non loin du camp 4. C’est les sherpas accompagnant l’alpiniste qui alertèrent les secours en constatant son état de fatigue extrême. L’Eurocopter AS350 B3 a alors décollé de Lukla, avec notamment à son bord Simone Moro, éminent alpiniste – il vient de réussir la première hivernale du Nanga Parbat – mais également spécialiste du secours à haute altitude par hélicoptère. Arrivé sur les lieux, Folini largua Moro qui coordonna ensuite le sauvetage depuis le sol. Quelques instants plus tard, Gautam Sudarshan était déposé sain et sauf au camp de base. Forza Italia !

En complément, je vous conseille l’interview de Simono Moro qui raconte ce morceau de bravoure sur le site de Montagne Magazine.

sauvetage par hélicoptère sur l'Everest
Photo © Archive Simone Moro (Grazie Simone !)

Et pour finir sur une note plus légère, sachez qu’en décembre dernier, une vingtaine de sauveteurs se sont mobilisés pour secourir quatorze chevaux qui s’étaient perdus dans les Pyrénées. Le récit de ce sauvetage pas comme les autres est à lire sur le site chevalmag.com.

3 Commentaires

  • Jph FREMY - 16 mars 2016 à 16 h 02 min

    Tres bien documentés, bravo, et passionnants exemples qui prouvent que l orgueil et la prétention sont tres présents partout, même dans un milieu ou on ne les attend pas forcément.

  • Pedro26 - 16 mars 2016 à 23 h 35 min

    Jph FREMY a écrit: « …même dans un milieu ou on ne les attend pas forcément. »
    Mouah ah ah !
    « orgueil et prétention » en montagne ?
    Ben y’en a pas ! Mouah ah ah ! …
    Merci pour ce moment de rigolade…

  • Jouniaux - 1 avril 2024 à 14 h 14 min

    Le ton dérisoire de ces tragédies rend bien compte de l’inanité de l’Homme. Un bonus aux légendes des photos, qui forcent le sourire. Que vive la montagne et ses fous rêveurs, quoi qu’il en soit.

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