Vincendon et Henry, un Nöel en enfer

Les naufragés du Mont-Blanc

Chaque année, la nuit de Noël, dans quelques vieilles demeures de Chamonix, des fantômes ressurgissent au coin du poêle… et pendant que les enfants dorment d’un sommeil impatient, les anciens luttent en vain contre l’insomnie en essayant de chasser de leurs pensées ce terrible Noël 1956… celui qu’un demi siècle après, on raconte aux enfants pas sages et aux alpinistes imprudents…

Dans les années 50, le cœur de l’alpinisme bat au rythme des victoires sur les prestigieux sommets de l’Himalaya. Herzog, Hillary ou encore Bonatti sont autant de noms qui font rêver les jeunes alpinistes du monde entier. En 1956, les stars du moment sont Jean Couzy et Lionel Terray, qui, l’année précédente, ont vaincu le Makalu. En France et ailleurs, on organise à la chaine des expéditions en Himalaya et les candidats sont nombreux, mais pour faire partie des heureux élus, il faut avoir fait ses preuves… C’est dans cette perspective que Jean Vincendon et son ami François Henry entreprirent une folie en cette fin d’année 1956. Ils avaient 22 et 24 ans et ils voulaient passer Noël au mont Blanc.

Bonatti, la mauvaise étoile

Leur projet était de se faire remarquer en tentant de gravir la Brenva en hiver, comme leur copain Claude Dufourmantelle quelques semaines plus tôt. Ils prirent ainsi le téléphérique de l’Aiguille du midi le 22 décembre en direction du refuge de la Fourche, d’où ils lancèrent ensuite leur fameuse entreprise. Et d’emblée, une bonne étoile sembla se poser sur leur cordée puisque après deux jours d’hésitations, ils finirent par décider sagement de rebrousser chemin inquiets des caprices de la météo. Mais sur la route du retour vers Chamonix, leur destin croisa par hasard celui de l’idole Walter Bonatti qui montait vers le refuge de la Fourche en compagnie de son client Silvano Gheser. Leur bonne étoile avait disparu…

Vincendon et Henry remontèrent donc au refuge pour réveillonner en compagnie des deux italiens dont l’objectif était l’ascension de la voie de la Poire. Galvanisés par cette rencontre fortuite, les deux compères décidèrent de reprendre leur ascension entamée quelques jours plus tôt, et pendant que Bonatti et Gheser s’engageaient dans la Poire, ils repartirent, guillerets, en direction de la Brenva. Mais Bonatti, surpris par le mauvais temps, décida de rejoindre la Brenva où les deux cordées, prises par la nuit, se retrouvèrent pour un bivouac improvisé dans la montagne.

Le refuge Vallot, seul salut possible

Le lendemain matin, le réveil est difficile pour les quatre hommes mais surtout pour nos deux jeunes louveteaux, peu rompus aux rugueuses conditions hivernales du Massif du mont Blanc. Bonatti prend logiquement les choses en main et décide qu’il est plus sage est de passer par le sommet que de redescendre directement vers la vallée qui parait pourtant si proche. Il est conscient que la situation est critique et voit dans le refuge Vallot un salut indispensable, d’autant que Gheser n’est pas au mieux non plus… Les deux cordées se reforment ainsi pour prendre la direction du sommet, chacun à son rythme. Ce qu’il s’est passé ensuite, personne ne le sait vraiment…

Vincendon et Henry se sont-ils perdus dans la tempête ? Ont-ils changé d’avis et décidé de courir le risque de redescendre directement dans la vallée ? Toujours est-il que Bonatti, en dépit de ses nombreux appels dans la tourmente, ne les verra jamais arriver au refuge Vallot… Le lendemain, après une terrible nuit dans leur abri glacial, le guide italien et son client victime de vilaines gelures, décident de reprendre leur descente, jugeant suicidaire de remonter vers le sommet à la recherche des deux jeunes alpinistes égarés… Cela fait maintenant plusieurs jours que Vincendon et Henry ont quitté Chamonix et, dans la vallée, on commence sérieusement à s’inquiéter et à envisager de leur porter secours.

Quand la tragédie devient « l’affaire »

C’est à ce moment là que ce qui était, jusqu’ici, le début d’une tragédie va commencer à devenir « l’affaire ». Parce que s’il est évident que les deux hommes doivent être secourus, qui doit s’y coller ? Ils ont bien été localisés mais un sauvetage en montagne dans des conditions hivernales n’est pas une partie de plaisir et à Chamonix personne ne veut risquer sa peau pour voler au secours de deux jeunes imprudents. Sans compter que dans la station, la saison bat son plein et les guides de la compagnie, devenus moniteurs de ski le temps de l’hiver, ne veulent pas lâcher leur gagne-pain… C’est finalement l’armée qui va prendre les choses en main en confiant l’affaire au Commandant Legall dont le plan est de larguer, par hélicoptère, plusieurs sauveteurs au plus près des naufragés. Mais pour cela il faut attendre que la météo soit plus clémente… et pendant ce temps-là, Vincendon et Henry attaquent leur huitième nuit sur la montagne…

A Chamonix, le sort des deux alpinistes passionne les foules. Chacun donne son avis sur la question. Les uns condamnent les guides qui n’ont pas bougé, les autres pensent que Legall devrait plutôt envoyer des hommes par la terre plutôt que par les airs… bref, l’ambiance est délétère. Et ce n’est pas l’arrivée d’un Lionel Terray furibard qui va forcement arranger les choses… le célèbre alpiniste ne comprend pas comment une cordée n’a pas été envoyée plus tôt à la rencontre des deux hommes. Il va donc s’en charger lui même, allant ainsi à l’encontre des directives de Legall. Son expédition redescendra finalement, bloquée par le mauvais temps. Le 31 décembre, l’opération de sauvetage de l’armée est enfin lancée ! Deux hélicoptères décollent de Chamonix. Le premier dépose des sauveteurs au Dôme du Gouter pendant que le deuxième doit se poser au plus près des deux garçons. Mais l’appareil – un Sikorsky S58 – n’est pas vraiment adapté pour ce genre de manœuvre délicate et finira sa course le nez dans la neige au pied de Vincendon et Henry qui, s’ils en avaient eu la force, auraient bien rigolé…

Le sauvetage vire au désastre

L’opération de sauvetage est un désastre… les naufragés ne sont plus deux mais six… les occupants de l’appareil sont indemnes mais il va maintenant falloir les secourir. Il y a là deux guides, Honoré Bonnet et Charles Germain, ainsi que deux pilotes: le Commandant Alexis Santini et l’Adjudant André Blanc, qui sont tout sauf des montagnards. Les quatre hommes rejoignent rapidement Vincendon et Henry euphoriques de voir arriver les secours mais dans un état lamentable, gelés de haut en bas… Bonnet et Germain installent les deux jeunes alpinistes dans la carlingue de l’hélicoptère et décident de conduire les deux pilotes au refuge Vallot d’où il sera plus facile de les secourir. Mais là encore, ça tourne au vinaigre: Blanc tombe dans une crevasse… il faut le sortir… la nuit arrive… bilan: retour dans l’hélicoptère où deux autres sauveteurs (Gilbert Chappaz et Jean Minster) débarquent également en provenance du Dôme du Goûter. Il faut sauver en priorité les pilotes qui commencent à s’affaiblir sérieusement. Il faudra aux guides huit heures pour hisser l’adjudant Blanc jusqu’au refuge Vallot situé à peine 300 mètres plus haut, où ils attendront qu’un nouvel hélicoptère – de type Alouette – vienne les chercher deux jours plus tard, une fois le mauvais temps passé. Le dernier survol de la carcasse du Sikorsky ne donnera rien… aucun signe de vie…

Vincendon et Henry auront passé au total dix jours à agoniser sur la montagne… « Normalement je suis une brute, on a du vous le dire… mais là, j’ai le cœur qui est encore ravagé… » déclarera le guide Honoré Bonnet 47 ans plus tard.

Epilogue:

  • Les corps de Vincendon et Henry ont été récupérés et rendus au famille le 20 mars 1957.
  • L’adjudant Blanc restera longtemps entre la vie et la mort mais s’en sortira finalement malgré de vilaines gelures.
  • Suite à cette affaire, le Peloton spécialisé de haute montagne sera créé en janvier 1957. Il deviendra plus tard le PGHM de Chamonix.

Sources:

Vincendon et Henry - Paris Match

6 Commentaires

  • Fabien - 10 janvier 2016 à 13 h 51 min

    Quel récit ! J’en ai les mains moites !

  • Megevand - 23 décembre 2016 à 9 h 32 min

    Si je comprends bien : Bonnet et l’autre guide n’ont pas pu redescendre de Vallot vers la carcasse de l’hélicoptère sur le Grand Plateau à cause du mauvais temps. Pourtant ce terrain n’est pas très difficile pour deux guides expérimentés. Ils ont dû craindre la souricière. Bizarre qu’on n’ait pas le fin mot, avec tous les témoins qu’il y a eus.

  • thomas - 23 décembre 2016 à 11 h 04 min

    Effectivement, les guides auraient souhaité retourner vers la carcasse comme ils l’avaient promis à Vincendon et Henry mais ceux qui dirigeaient les opérations souhaitaient absolument éviter de nouvelles victimes…

  • simone - 1 février 2018 à 23 h 38 min

    Check la version des affaires sensibles sur france inter. Ils disent que finalement le sauvetage final a été annulé après la décision du père d’Henry, qui a renoncé à avoir un fils qui serait probablement amputé des quatre membres!

  • Pedro26 - 1 juin 2018 à 22 h 43 min

    « Vincendon et Henry auront passé au total dix jours à agoniser sur la montagne…  »

    Et oui…

    Mais que dire alors des 7 victimes mortes de froid en moins de 24h à moins de 400m du refuge des Vignettes en 2018, sur les pentes du Pigne d’Arolla ?

    Pas besoin de 10 jours pour agoniser, 10 heures suffisent, même en 2018 !

    Et avec les meilleurs hélicoptères du monde !

  • Eric Arnaud - 20 janvier 2019 à 13 h 42 min

    Lisez l’excellent livre de Yves Ballu (éditions Glenat): naufrage au mont blanc. Cette histoire y est racontee avec toutes les infos possibles, et le déroulement objectif des opérations, le rôle de chacun, la détresse des parents….. extrêmement poignant. Plus de 60 ans apres!

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