Désormais vous m’appellerez le Grec !

23 mai 2016 - 1 commentaire

Exit Bonatti, salut Cassin, adieu Terray et Rébuffat ! J’ai trouvé mon maitre, mon idole, mon Dieu… j’ai nommé Georges Livanos alias le Grec, génie éternel ! Je viens de refermer le monumental Au-delà de la verticale et les sentiments sont multiples… la rage de ne pas l’avoir lu plus tôt, la détresse ne plus jamais avoir à le lire pour la première fois et l’amour dolomitique que je porte désormais au Grec qui écrivait comme il plantait les pitons, avec saveur !

Il y a quelques semaines, je ne jurais que par le style alpin mais aujourd’hui je n’ai plus qu’un seul but dans la vie : planter des pitons. Et je ne vois pas en quoi ma condition de non-alpiniste m’en empêcherait ! Si je veux planter des pitons, je planterai des pitons ! C’est le Grec qui le dit : « L’escalade libre, la vraie, sans guillemet, c’est être libre de faire ce qu’on veut: de mettre un étrier si on en a envie, de faire du III si on en a envie ou d’aller ramasser des fraises. »* Et il s’y connait le Grec en pitons, il en a enfoncé un sacré paquet ! Même là où il n’y en avait pas toujours besoin : « mieux vaut un piton de plus qu’un alpiniste en moins », telle était sa devise. Et quand il enfonçait, il ne faisait pas semblant le bougre : « Celui-là, je le garantis, et quand je garantis un piton on peut y suspendre un porte-avions. » Demandez à Sonia, la deuxième partie « du couple le plus sestogrado du monde », ce qu’elle en pense, elle qui aura eu la lourde tâche de dépitonner les chefs-d’œuvre du Grec dans bon nombre de leurs aventures.

« Au-delà de la verticale », le bonheur à toutes les pages

Par contre son truc à lui c’était plus le VI que le III. Non parce que si dans ses récits, on se fend la poire, on chambre et on boit un coup, dans les fameuses parois des Dolomites, « quand le VI montre les dents », ça ne rigolait pas tous les jours… Cima Ovest, Su Alto, Marmolada et j’en passe ! Une liste de courses à faire pâlir le plus sestogradiste des italiens ! Mais dans le fond, je me demande si, plus que l’escalade, son vrai plaisir n’était pas de raconter en rentrant. Quelle truculence ! On se plaint souvent du côté un peu cafardeux de la littérature de montagne, mais avec le Grec, quand on pleure, c’est de rire ! Comme lorsqu’il raconte son arrivée au refuge après un périple pour le moins rocambolesque à la Marmolada : « Mes souliers tapent sur les marchent à en casser les planches, ces gens se retournent avec un air d’étonnement poli; il y a une porte en face de l’escalier : j’entre, et je serais également entré s’il n’y avait pas eu de porte ! » Cet article, je l’aurais également écrit s’il n’y avait pas eu de blog.

Avec Au-delà de la verticale, c’est simple, le bonheur est à toutes les pages. Tenez, donnez moi un nombre entre 1 et 343. 171 ? Excellent choix : « Le 10 septembre, vers 7 heures, nous bouclons les sacs, quand l’une de nos connaissances nous aborde en ces termes : « Nous autres, pour les voies nouvelles de sixième supérieur, c’est à 2 heures que nous partons du refuge ». Or l’auteur de cette phrase impérissable a rarement, et de fort peu, dépassé le quatrième degré. Imprudent ! Chrétien innocent allant s’offrir aux fauves bardé de lard et enduit de moutarde ! Imaginez la joie féroce du Grec en voyant ce pauvre petit gibier venir si complaisamment s’exposer à son impitoyable venin… Ce sont des instants où l’on ne presse pas pour répondre, savourant ce plaisir par avance. A la minute suivante, le malheureux s’abat, en flammes, sur le perron du Vazzoler. » Une autre ? 223 ! Exquise explication sur la recherche d’objectif : « La recherche de l’objectif est donc une affaire sérieuse. Études approfondies sur des photos de provenance clandestine où le futur chef-d’œuvre est généralement dans l’ombre, relations avec des spécialistes locaux, conversations adroitement conduites… Nous n’en dirons pas davantage, le Grand Problème est fait de mystère, de tentatives secrètes, de cordées fantômes surgissant dans des petits matins obligatoirement brumeux, de retraites silencieuses, et d’une trame d’occultes manœuvres pouvant provoquer la rencontre d’une dizaine de cordées au pied de la même paroi, alors que chacun pensait des autres qu’elles se trouvaient à cet instant dans les Calanques, les Andes ou chez le Père Éternel. » Je l’ai déjà ce livre, mais j’ai quand même envie d’aller le racheter…

On ne la fait pas au Grec !

Depuis que j’ai rencontré Georges Livanos, j’ai jeté au précipice les plus solides de mes convictions. L’escalade libre ? C’est nul. Le pitonnage est un art et son virtuose est grec. Mais qu’on ne lui parle pas de pitons à expansion, « ce téléphérique du pauvre » ! Même quand le Grec sort son tamponnoir, on lui pardonne bien volontiers tellement l’excuse est savoureuse : « Comment, moi, l’ennemi de ces méthodes de profanation ? La préméditation est indiscutable et je n’ai qu’une mince excuse : le mauvais exemple. A force d’en entendre parler, il se forme un complexe du tamponnoir, alors on l’emporte, alors on méprise les vires inesthétiques (mais astucieuses…) et nous en sommes là : à bricoler pendant des heures ! » On ne la fait pas au Grec !

Mon admiration pour le Grec se voit jusque dans ma façon de manger. Lorsque je fais mes – grandes – courses au supermarché, je franchis le rayon fruits et légumes surpeuplé à grands coups de pitons et je me hisse ensuite jusqu’au rayon frais où se situe ce qui représente désormais l’unique composante de mon alimentation : le yaourt à la Grec. Alors s’il y a du wifi au paradis des sextogradistes et que ces quelques lignes parviennent jusqu’à toi, tu sauras, le Grec, qu’il y a encore quelques énergumènes ici-bas pour perpétuer ta redoutable légende.

* Exrait du film Le Grec de Jean Afanassieff

Georges Livanos dit "Le Grec"
Le Grec en train d’écrire sa légende… ou de raconter des petites conneries…
(Merci à Yves Ballu pour la photo)

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