Le mont Blanc
Le plus gros tas de neige des Alpes
Par Valentin Rakovsky
« Du mont Blanc, d’abord on rêve », écrivait Gaston Rébuffat. Si vous n’avez pas la chance d’habiter suffisamment près de lui pour l’apercevoir quand vous mettez le nez dehors, le mont Blanc est d’abord un nom qu’on apprend sur les cartes ou à l’école, et dont on retient surtout que c’est celui du plus haut sommet d’Europe occidentale. Entre 4 807 et 4 810 mètres au-dessus du niveau de la mer, en fonction l’épaisseur de la calotte neigeuse et votre degré de chauvinisme.
Puis éventuellement, un jour, on va le voir de plus près, à Chamonix. La première fois, il arrive qu’on le confonde avec le Dôme du Goûter, qui cache de l’entrée de la vallée les sommets plus haut que lui. Et après être passé pour un vrai touriste à cause de cette malheureuse confusion, enfin on le reconnaît, avec ou sans l’aide d’un œil spécialiste, et on se dit qu’il doit y avoir une belle vue, là-haut.
Paccard et Balmat lancent la mode
Le naturaliste Genevois, Horace-Bénédict de Saussure, s’est dit la même chose il y a de cela deux siècles et demi. Et accessoirement, il s’est dit aussi qu’il irait bien lire son baromètre au sommet. Pour motiver les volontaires, il promit une forte prime aux premiers qui lui montreraient une voie d’accès au sommet. Il lui faudra attendre 26 ans pour que deux prétendants bravent la peur répandue à l’époque que les glaciers de Chamonix soient habités par des monstres et des esprits en tous genres. Le 8 août 1786, Jacques Balmat, un jeune cristallier, et le docteur chamoniard Michel Paccard, réussissent l’ascension en bivouaquant à proximité de la Jonction par une voie aujourd’hui connue comme celle des Grands Mulets. L’alpinisme pourrait bien être né ce jour-là…
L’ascension sera répétée de nombreuses fois dans les décennies suivantes, dont celle de Saussure lui-même (le 2 août 1787), emmené au sommet par Balmat. Et si le cristallier invente le métier de guide, c’est aussi au mont Blanc que sera inventé l’accident en montagne. La caravane du docteur Hamel, météorologue de l’empereur de Russie, est engloutie dans une avalanche en 1820. La Compagnie des Guides de Chamonix sera fondée l’année suivante pour encadrer dorénavant l’activité des guides. Le 14 juillet 1808, c’est Marie Paradis qui devient la première femme à atteindre la cime.
Le Panthéon à ciel ouvert
La voie de la première ascension ne suffit bientôt plus, et dès le XIXème siècle, le mont Blanc est assiégé de tous les côtés. Par l’arête des Bosses de l’actuelle voie normale en 1861 par des Anglais accompagnés de guides suisses. Puis par son versant italien et l’éperon de la Brenva en 1865 par d’autres Anglais, et toujours des guides suisses. Il sera aussi gravi l’hiver en 1876 par Isabella Straton et Jean-Estéril Charlet, une Anglaise et un Chamoniard qui se marièrent, eurent deux enfants et inspirèrent à Frison-Roche le deuxième tome de sa saga Premier de Cordée (La Grande crevasse).
Viendront ensuite au fil des décennies les itinéraires de renom : l’intégrale de Peuterey, le Pilier Central du Freney, la Divine Providence… Des accents britishs de l’âge d’or au record de vitesse de Kilian Jornet (4 heures et 57 minutes pour l’aller-retour de l’église de Chamonix au sommet, le 11 juillet 2013) en passant par des catastrophes dont réchappe Walter Bonatti, le mont Blanc fait partie de ces quelques rares sommets à avoir vu défiler sur ses pentes assez de stars de toutes les époques pour que son passé condense à lui seule toute l’histoire de la Montagne avec un grand M.
Les successeurs d’Hamel et de Balmat
Si sur les cartes postales où il se reflète sur les Lacs des Chéserys, le mont Blanc a des airs de gros tas de neige débonnaire de presque 5 000 mètres de haut, l’accident de 1820 n’est pas un cas isolé. Jean Vincendon et François Henry, cordée franco-belge piégée à Noël 1956 dans la tempête, perdent la vie près du sommet après un calvaire de dix jours. Après le constat d’impuissance des moyens de secours mis en œuvre, c’est cette fois le PGHM qui voit le jour. D’autres naufrages, d’avions cette fois, se dérouleront sur les pentes du toit des Alpes : Le Malabar Princess et le Kangchenjunga, deux Boeings d’Air India, s’écrasent presque au même endroit à seize ans d’intervalle (1950 et 1966). Même la voie normale et le couloir du Goûter, sous leur patronyme peu intimidant, allongent encore chaque année la liste de leurs victimes.
Pas de quoi cependant entacher la réputation de sommet facilement accessible du mont Blanc. On compte aujourd’hui en milliers le nombre de personnes qui parviennent à la cime chaque été. Il est tentant pour les puristes de ne pas trop se mélanger à cette foule de touristes d’élite venus prendre d’assaut l’arrête des Bosses. Mais même le plus snob d’entre eux, derrière le dédain que lui inspire la file d’attente à la sortie du refuge du Goûter à l’approche des matins de beau temps, se sera certainement un jour extasié de s’être tenu, deux siècles après Paccard et Balmat, sur ce point si particulier où l’on peut regarder dans toutes les directions sans jamais rien voir de plus haut que soi.
Lectures sur le mont Blanc :
- Babel 4810 – La mondialisation du mont Blanc, Charlie Buffet (Guérin, 2014)
- Naufrage au mont Blanc, Yves Ballu (Glénat, 2002 ; Guérin 2017 pour la version illustrée)
- Amours scandaleuses au mont Blanc, Marcel Pérès (Guérin, 2014)
- Mont-Blanc, jardin féérique, Gaston Rébuffat (Hachette, 1962)

1 Commentaire
Thomas - 20 août 2020 à 8 h 52 min
Tellement bien dit … Cet équilibre entre dédain de la foule et attirance magnétique. Cette magie qui entoure ce sommet. Et son histoire dont on ne peut que sentir la marque.
Merci pour cet article 😊
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