Petits mensonges d’altitude
L’alpinisme est un monde fait de débats, de querelles et de controverses en tout genre. Qu’on le considère comme un sport, comme un art ou comme une philosophie de vie, on peut difficilement ignorer la course aux exploits et aux records les plus fous qu’il engendre. Et tant qu’il n’y aura pas de juges au sommet des montagnes, les seules preuves de réussite proviendront des témoins oculaires, des photos, ou des reliques abandonnées au sommet. Pas étonnant que certains escrocs aient réussi à se glisser dans la légende le temps d’un récit…
Il suffit d’observer la façon dont Ueli Steck a communiqué sur son récent record de la face nord de l’Eiger (2h23 via la voie Heckmair), pour comprendre qu’en 2015, on ne rigole plus avec ça. L’alpiniste suisse, dont l’ascension de l’Annapurna 2013 avait été controversée en raison de la perte de son appareil photo durant la montée, n’y est, cette fois-ci, pas allé de main morte: photo au sommet en exhibant sa montre, lien vers l’application de suivi GPS, vidéo de l’ascension, etc. cette fois rien à dire, bravo Monsieur !
Cesare Maestri et le mensonge du Cerro Torre
Mais dans la longue et passionnante histoire de l’alpinisme il n’est pas rare de trouver des récits d’ascensions faisandées qui sentent un peu l’arnaque. Et l’un des premiers à s’être fait gauler fut l’éminent Docteur Frederick Cook, plutôt spécialiste de l’exploration des pôles, qui, en 1906, s’essaya à l’alpinisme en tentant l’ascension du Mont McKinley. Il y fut parfaitement ridicule mais tenta tout de même d’affirmer l’avoir gravi avant d’être confondu par ceux qui l’accompagnaient.
L’une des plus belles affabulations restera cependant sans doute celle de Cesare Maestri en 1959 au redoutable Cerro Torre, en Patagonie. Parti tenter le coup avec l’autrichien Toni Egger, il sera de retour au camp de base six jours après le départ, seul, affirmant que Egger a été emporté par une avalanche. Mais il affirmera surtout avoir atteint le sommet, réalisant là, un des plus grands exploits de l’alpinisme. D’abord considéré comme un héros, Maestri tomba peu à peu de son piédestal au fur et à mesure que les grimpeurs du monde entier s’attaquaient à cette même paroi et en revenaient déconfits. De nombreuses incohérences dans ses récits conjuguées à l’absence de photo et de traces sur la montagne reformèrent petit à petit le puzzle de l’immonde mensonge aujourd’hui établi même si, à 85 ans passés, le beau Cesare continue de nier la triste évidence…
Tomo Cesen, l’imposteur des alpages
Si Cesare Maestri a fabulé son ascension du Cerro Torre, il en est un qui a fait encore plus fort: il en a inventé plusieurs ! Et cet artiste, c’est le slovène Tomo Cesen, l’alpiniste qui ne grimpe que dans le brouillard et dont la batterie de l’appareille photo est toujours vide ! Enfin non, pas toujours: en 1990, il a tout de même réussi à prendre une photo au sommet du Lhotse, après avoir soit disant réussi l’ascension de la face sud pourtant réputée imprenable. Le problème c’est que le cliché (publié à l’envers dans le magazine Vertical) est en fait celui d’un certain Vicky Groselj, qu’il a été pris l’année précédente et que le principal intéressé s’en est rendu compte…
Mais d’autres ascensions de Cesen posent problème. Celle de la face nord du Jannu en 1989 notamment, mais aussi la voie « No Siesta » dans les Grandes Jorasses en 1987. Et à chaque fois la tactique est la même: en solo, dans le brouillard ou de nuit et bien sûr, avec l’appareil photo en rade… et plus les années passent, plus les détails troublent: pas de trace dans la montagne, récit douteux, détail technique suspect, etc. c’en est trop, plus personne n’y croit et à la fin des année 90, Tomo Cesen finit bien par entrer dans la légende mais pas par la grande porte…
Oh Eun-sun, Herzog et les autres…
Plus récemment, c’est l’alpinisme Coréenne Oh Eun-sun qui s’est retrouvée sur la sellette, mise en cause par sa rivale dans la conquête des quatorze 8000, l’espagnole Edurn Pasaban. Cette dernière conteste en effet son ascension du Kangchenjunga en 2009 en s’appuyant sur des clichés pris dans le brouillard et sur les témoignages un peu nébuleux des sherpas qui l’accompagnaient. Alors laquelle des deux fut la première femme à réussir le fameux challenge des quatorze 8000? Allez savoir…
Et que dire de la cordée Herzog-Lachenal sur l’Annapurna en 1950 ? Ont-ils vraiment atteint sommet ? C’est peu dire que la fameuse photo d’Herzog brandissant son piolet sur un sommet qui n’en a pas l’air a fait jaser en son temps. Combien sont-ils aujourd’hui encore à douter de la véracité du plus haut fait de gloire de l’alpinisme français ?
Même les plus grands ont eu droit à leur lot de suspicion. Ainsi, lorsqu’il rentra du Nanga Parbat sans son frère après l’expédition tragique de 1970, Reinhold Messner ne fut-il pas, lui aussi, accusé d’avoir menti, non seulement sur la disparition du pauvre Günther mais aussi sur leur accession au sommet ? Mais à la différence de certains charlatans, Messner, lui, n’oublia jamais son appareil photo à chaque fois qu’il ajouta une ligne à la liste de ses exploits aujourd’hui aussi longue que le nez de Tomo « Pinocchio » Cesen.
Par contre, le premier qui conteste ma belle ascension du Tourmalet à vélo en style alpin en 2009, je lui envoie ma belle-mère ! Elle était là, elle a tout vu, elle a des photos !
Sources:
- Cerro Torre, le sommet du mensonge – Charlie Buffet – lemonde.fr
- D’un Slovène, l’autre – Charlie Buffet – liberation.fr
- Les 5 pires mythes de l’outdoor, du capitaine Cook à Koh Lanta – widermag.com
9 Commentaires
pascaline - 10 décembre 2015 à 15 h 30 min
TU es trop fort à vélo, moi aussi je l’ai constaté .
Bravo pour ton blog, j’adore tes explications sur les escrocs, c’est très intéressant.
thomas - 10 décembre 2015 à 16 h 58 min
Etant toi même épouse d’un escroc qui prétend avoir parcouru les Pyrénées d’est en ouest, on peut dire que tu sais de quoi tu parles !
pasc - 8 mai 2017 à 21 h 46 min
C’est très regrettable, mais c’est la vie.
Joël Le Bras - 13 janvier 2018 à 23 h 29 min
Bonjour
OK pour Maestri ou Cesen, mais accuser Herzog d’avoir faisandé l’Annapurna est seulement oublier Lachenal. Lachenal dont la personnalité interdit totalement de penser, même avec le recul du temps, qu’il aurait pu se prêter à la moindre falsification. La preuve que Herzog a bien gravi l’Annapurna ? C’est Lachenal.
Pedro26 - 16 mars 2018 à 23 h 46 min
Finalement, Tomo Cesen n’était qu’un tout petit joueur, par rapport à Ueli Steck !
Pedro26 - 16 mars 2018 à 23 h 48 min
Il va falloir mettre à jour ton article, Thomas !
eli - 9 mai 2018 à 14 h 59 min
hello!
dans mes recherches documentaires, je suis tombée sur une belle conference des piolets d’or sur le sujet des controverses dans l’histoire de l’alpinisme… c’est vrai que ca parait naif de croire qq »un qui a « perdu » son appareil, était seul, rapporte un récit nebuleux….. croire ou pas, faire confiance ou pas… a l’epoque des traceurs GPS, de la miniaturisation de la technologie…je comprends mieux la controverse autour de ueli.
eli - 9 mai 2018 à 15 h 08 min
la conference filmée
https://www.youtube.com/watch?v=IpeizDrRBPE&t=4773s
Robert godard - 27 mai 2022 à 5 h 37 min
Comment peut on vérifier le récit de messner?
Flux RSS pour les commentaires de cet article.
Laisser un commentaire