Annapurna, Eiger, Jannu, Yosemite… les photos de légende #5

15 juin 2017 - 5 commentaires

Edward Whymper, Robert Paragot, Pierre Béghin, Jimmy Chin ou encore René Ghilini sont les photographes. La face sud de l’Annapurna, le sommet du Lhotse, le Yosemite, le Jannu ou la face nord de l’Eiger servent de décor. Reste à placer quelques alpinistes entre les deux pour composer ce cinquième épisode de la rubrique « La légende de l’alpinisme en dix photos ». Ne cherchez pas un quelconque ordre chronologique, c’est en vrac, comme d’habitude !

Alex MacIntyre dans la face sud de l’Annapurna

Durant toute sa brillante carrière d’alpiniste, Alex MacIntyre était plutôt habitué à regarder vers le haut, très haut même. Les grandes parois himalayennes, c’était son affaire. Son obsession ? Le style : alpin et léger, toujours. Engagement total. Nous sommes ici en 1982 dans la terrible face sud de l’Annapurna où le britannique semble parfaitement à son aise malgré la raideur de la pente. Peut-être cherche-t-il du regard son ami John Porter resté au camp de base victime de maux d’estomac. Son compagnon de cordée René Ghilini immortalise le moment, puis les deux hommes continuent leur ascension. Quelques heures plus tard, bloqués par un ressaut infranchissable, ils décident de faire demi-tour et de bivouaquer dans une crevasse. Le lendemain matin, 17 octobre 1982, alors que les deux hommes ne sont plus encordés, une pierre grosse comme le poing touche MacIntyre à la nuque comme un obus. Il meurt sur le coup, à 28 ans. Sur la pierre tombale érigée à sa mémoire au camp de base de l’Annapurna, on peut lire ceci : « Mieux vaut vivre un jour comme un tigre, que mille ans comme un mouton ». Un jour comme un tigre, c’est aussi le titre du livre que lui a consacré John Porter.

Alex Macintyre dans la face sud de l'Annapurna en 1982
Photo tirée du livre 100 Alpinistes (éditions Guérin)

Christophe Profit au sommet du K2 et de l’himalayisme

Il est exactement 18h55 ce 11 août 1991 lorsque Pierre Béghin saisit l’instant avec son appareil photo. Christophe Profit est heureux mais il n’en mène pas forcement très large. En réussissant le K2 en style alpin par l’arête nord-ouest, les deux hommes savent qu’ils viennent de frapper un grand coup mais il leur faut encore redescendre dans la nuit tombante. Au K2, près d’un quart des alpinistes parvenus au sommet se tuent à la descente… C’est  seulement à leur retour au camp de base, qu’ils pourront savourer ce chef d’œuvre du style alpin. « Pour Pierre Béghin et Christophe Profit, cette course ne fut sans doute pas très loin du graal de tous les alpinistes. La course idéale, une création limpide, l’art de la fugue ».* Ce sera pourtant leur dernière course ensemble puisque Pierre Béghin trouvera la mort l’année suivante dans la face sud de l’Annapurna. Christophe Profit, lui, a peut-être tout simplement senti qu’il était allé trop loin au K2. Il se consacrera désormais à son métier de guide dans les Alpes.

La folie du K2 – Charlie Buffet – Editions Guérin

Christophe Profit au sommet du K2
Photo tirée du livre Pierre Béghin, l’homme de tête, François Carrel, éditions Guérin

Fritz Luchsinger et la conquête du Lhotse en 1956

Là en revanche, pour le style alpin on repassera… En même temps on est dans les années 50 et à l’époque on cherchait plus la conquête que le style. Il est pourtant assez stylé l’ami Fritz Luchsinger avec son look de pilote de chasse et son regard en biais, comme s’il fuyait l’objectif de Ernst Reiss avec qui il vient d’atteindre le sommet du Lhotse, 8 516 mètres et quatrième plus haute montagne du monde. Nous somme le 18 mai 1956. Trois jours plus tard, les Suisses parachèveront le succès de leur expédition en envoyant Jürg Marmet et Ernst Schmied au sommet du voisin Everest pour la première répétition, trois ans après la première de Hillary et Tenzing.

Fritz Luchsinger, Lhotse 1956
Source : nzz.ch

Werner Braun, défonce verticale au Yosemite

Admirez-moi ce maniaque ! A force de mettre de la cocaïne dans le sac à pof, voilà ce qui arrive… Toute la folie du Yosemite des années 70 est concentrée dans cette photo absolument improbable. On s’embête pas à prendre une corde mais on va quand même pas grimper sans musique ! Le maniaque en question s’appelle Werner Braun et il arrive directement – après peut-être un passage dans le cosmos intersidéral – en provenance du fameux camp 4, endroit névralgique de la grimpe dans le Yosemite, situé au pied d’El Capitan. C’est là-bas qu’est né, dans les années 60, un art de vivre basé sur l’escalade. C’est aussi là-bas qu’ont pris forme d’incroyables légendes racontées dans le film déjanté Valley Uprising ou dans le livre Défonce verticale de Jim Bridwell (éditions Nevicata). La photo a été prise à la fin des années 70 dans la voie Reed’s Pinnacle Direct par un certain Bob Gaines. Je l’ai trouvée sur le site climbing.com, sur une page qui vaut le détour !

Werner Braun en solo intégral dans Reed’s Pinnacle

Alex Honnold en solo intégral sur El Capitan

Alex Honnold avait déjà eu les honneurs de cette rubrique dans l’épisode précédent. L’ascension monumentale qu’il a accomplie il y a quelques jours à peine, m’oblige à le distinguer de nouveau sans qu’une quelconque contestation soit envisageable. Le 3 juin 2017, il a en effet gravi les 900 mètres de la paroi d’El Capitan au Yosemite en solo intégral, c’est à dire sans corde d’assurance. Une première historique. La photo ci-dessous, toujours prise par Jimmy Chin, est à la hauteur de l’exploit et donne une idée de l’insolence de l’entreprise. Cet homme-là possède des roubignoles en titane ! Il lui a fallu 3h56 pour gravir la voie Free Rider ouverte en 1998 par le grimpeur allemand Alexander Huber. Parmi la foultitude de réactions dithyrambiques du milieu de la grimpe et d’ailleurs, j’ai retenu celle-ci de son pote Tommy Caldwell : « C’est l’atterrissage sur la lune du solo intégral ! » Le récit complet de l’ascension est à lire sur le site du célèbre magazine National Geographic.

Alex Honnold en solo intégral sur Freerider à El Capitan

Directissime Eiger 1966

Le coupable est probablement là, quelque part au milieu de ce foutoir. Peut-être aux pieds de Layton Kor, le premier en partant de la gauche ? Oui, c’est certainement l’une de ces cordes rouges qui, en se rompant, a précipité John Harlin dans l’abîme alors qu’il remontait au jumar vers le passage de l’Araignée, non loin du sommet. Cette photo signée Chris Bonington, photographe officiel de l’expédition, a été prise au mois de février 1966, quelques jours avant que la cordée anglo-américaine ne se lance dans son projet de directissime en face nord de l’Eiger. Layton Kor est donc à gauche, Dougal Haston au centre et John Harlin, « le Dieu blond », à droite. A leurs pieds, le matériel prévu pour dix jours d’ascension. Dans leur dos, la redoutable face nord… John Harlin trouvera la mort le 22 mars alors que la voie – qui portera son nom – sera finalement terminée le 25 par Dougal Haston et une cordée de quatre Allemands.

Layton Kor, Dougal Haston, John Harlin devant la face nord de l'Eiger en 1966
Photo tirée du livre Eiger Obsession, John Harlin III, éditions Guérin.

Catherine Destivelle en solo dans la face nord de l’Eiger

En 1990, une page se tourne dans la carrière de Catherine Destivelle. Elle arrête les compétitions d’escalade et se tourne vers la haute montagne. Après une première expédition aux tours de Trango dans le massif du Karakoram, elle s’attaque aux parois mythiques des Alpes en commençant par les Drus où elle gravit le pilier Bonatti en solitaire puis ouvre une nouvelle voie dans la face-ouest. Elle se lance ensuite dans une trilogie hivernale sur les trois grandes faces nord (Eiger, Jorasses et Cervin) qu’elle achèvera au Cervin en 1994. La photo que j’ai choisie pour honorer cette alpiniste hors norme a pour théâtre le passage de la rampe en face nord de l’Eiger qu’elle gravit en 17 heures par la voie Heckmair le 9 mars 1992. La photo a été prise depuis un hélicoptère par René Robert. « Après cette ascension de l’Eiger, j’eus droit à la reconnaissance de mes pairs. Leurs rapports avec moi changèrent. Certains me félicitèrent, d’autres me proposèrent d’aller grimper avec eux. Ces marques de reconnaissance me firent plaisir, car j’avais l’impression que je n’étais peut-être plus à leurs yeux la grimpeuse avant tout médiatisée. J’étais devenue une vraie alpiniste » écrira-t-elle quelques années plus tard dans son livre autobiographique d’où est tirée la photo : Ascensions (Éditions Arthaud).

Catherine Destivelle dans la face nord de l'Eiger

Jannu 1962, René Desmaison et Paul Keller à Califourchon

Après l’Annapurna en 1950 et le Makalu en 1955, le Jannu est la troisième belle conquête française en Himalaya. Même s’il lui manque quelques mètres pour faire 8 000, le Jannu (7 710 mètres) restait à l’époque l’un des sommets les plus convoités. Après deux expéditions de reconnaissance en 1957 et 1959, celle de 1962 est la bonne pour les français. Le 27 avril vers 17 heures, René Desmaison, Paul Keller, Robert Paragot et le sherpa Gyalzen Mitchu sont au sommet après avoir joué les funambules sur l’arête sommitale dangereusement effilée : « Quelques pas de funambule et c’est à califourchon que nous devons poursuivre les jambes tordues pour permettre aux crampons de mordre, le fondement dans la poudreuse et le piolet enfoncé jusqu’à la garde dans cette arête qui à chaque coup semble vibrer. » écrira René Desmaison que l’on peut voir en compagnie de Paul Keller sur le cliché ci-dessous probablement pris par Robert Paragot. Entre le 27 et le 28 avril, onze alpinistes dont Lionel Terray le chef d’expédition, parviendront au sommet malgré la mise en garde préalable de Tenzing Norgay : « Le Jannu n’est pas une montagne, c’est un géant féroce qui monte la garde ! »*

* Lire Lionel Terray, l’inoubliable conquérant de Marcel Pérès aux éditions Glénat.

René Desmaison et Paul Keller au sommet du Jannu en 1962
Photo tirée du livre La Montagne à la Une aux éditions du Mont-Blanc.

Walter Bonatti de retour des Drus en patron

Voilà à quoi ressemble un type qui vient d’écrire la légende. Ah il peut se fendre la poire le Walter ! Y a pire comme moment ! Acclamé par tout le personnel de l’hôtel du Montenvers, les journalistes et quelques touristes, Bonatti est le nouveau héros des Drus. Il vient, en ce jour historique du 22 août 1955, de réaliser en solitaire la première du pilier sud-ouest des Drus, celui qui deviendra plus tard le fameux pilier Bonatti. Un mythe. C’est Gérard Géry qui est chargé de couvrir l’évènement pour Paris-Match. « Tu as crédit ouvert ! Loue un avion ! » l’avaient exhorté les responsables du magazine. Il emmène avec lui Lucien Berardini qui avait participé à la première ascension de la face ouest trois ans auparavant, et fonce au sommet des Drus par la voie normale pour accueillir Bonatti. Il en reviendra avec quelques clichés célèbres qui contribueront à faire de la montagne l’un des sujets favoris de Paris-Match dans les années suivantes. Les éditions du Mont-Blanc, dirigées par Catherine Destivelle, en ont fait un très beau livre dans lequel les photos de Bonatti sont légion : La Montagne à la Une.

Walter Bonatti après l'ascension du pilier des Drus en 1955

La photo du Cervin par Whymper himself

Là, il manque clairement un truc entre le photographe et la montagne. Et puis des photos du Cervin, merci bien, on en a déjà des milliers. Certes, mais celle-ci a la particularité étonnante d’avoir été prise il y a 150 ans par celui qui fut le premier à le gravir : Edward Whymper en personne. Lorsque son père l’oblige à apprendre le métier de graveur pour prendre sa suite, le jeune Edward n’est pas franchement enthousiaste et il préfère se pencher sur un procédé révolutionnaire pour l’époque : la photographie. Lorsqu’il découvre la montagne en 1860 à l’occasion d’un séjour dans les Alpes, il commence par la photographier avant d’envisager de grimper dessus. Mais très vite l’obsession le gagne. On connait la suite : le 14 juillet 1865, il est au sommet du Cervin mais la descente tourne au drame avec la fameuse chute qui emporte Douglas Hadow, Michel Croz, Charles Hudson et Lord Douglas… Sur cette photographie que l’on retrouvera dans les archives de l’Alpine Club Picture Library (et accessoirement dans le portrait de Michel Croz du livre 100 Alpinistes des éditions Guérin), on distingue parfaitement la fameuse arête du Hörnli qu’emprunteront Whymper et ses compagnons en 1865.

Photographie du Cervin par Edward Whymper

5 Commentaires

  • Pierre-Marie Girardot - 15 juin 2017 à 8 h 24 min

    Merci … toujours aussi passionnant ! Ça fait quand même rêver même quand on reste un modeste amateur qui revit trop rarement sa passion pour les rochers, un peu de hauteur et de vide (mais pas trop). Dommage (pour la montagne!) qu’une parenthèse va s’ouvrir loin des montagnes dans le delta du Mékong… Mais il y a sûrement d’autres choses à découvrir là-bas.

  • JEAN PHILIPPE - 15 juin 2017 à 9 h 56 min

    Remarquable article et photos d’anthologie. Passionnant.

  • Sockeel - 22 juin 2017 à 13 h 06 min

    Bonjour,

    Juste pour vous signaler une petite erreur dans la partie de whymper
    « Lorsqu’il découvre la montagne en 1960 à l’occasion d’un séjour dans les Alpes » — je pencherais plus pour 1860

    Encore un grand merci pour tout vos articles

  • thomas - 22 juin 2017 à 13 h 54 min

    Effectivement en 1960, il ne découvrait plus grand chose le pauvre… C’est corrigé. Merci !

  • Jean-Paul - 12 mars 2018 à 13 h 52 min

    Magnifique…
    Merci!
    Je suis époustouflé!

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