Edward Whymper
L’homme du Cervin
Par Valentin Rakovsky
14 juillet 1865, en début d’après-midi, Edward Whymper atteint enfin son but ultime : devenir le premier à fouler la cime du Cervin. Pour s’assurer de sa victoire, il jette un œil vers le versant italien et aperçoit l’expédition rivale bien plus bas sur l’arête du Lion. Avec l’aide de Michel Croz parvenu avec lui au sommet, il leur balance quelques pierres, juste pour être certains que les Italiens comprennent qu’ils sont battus. Une fois cette formalité accomplie, Whymper passe au sommet avec ses six compagnons « une heure bien remplie de vie glorieuse », comme il l’inscrira dans son journal.
La suite est tristement célèbre. Le Cervin réclame à ses premiers vainqueurs un droit de passage très salé, et après seulement une demi-heure de descente, Hadow, Hudson, Douglas et Croz sont précipités dans le vide de la face Nord. Whymper traînera derrière lui jusqu’à Zermatt le guide Taugwalder et son fils, seuls autres survivants. Cette journée de triomphe sur le plus noble rocher des Alpes passera bien à la postérité, mais malheureusement pas de la façon dont l’avait rêvée le jeune Londonien.
Un graveur londonien dans les Alpes
Whymper n’a que vingt-cinq ans lorsqu’il conquiert le Cervin. De ses vingt premières années, on retient qu’il a travaillé comme graveur dans l’imprimerie de son père et que son journal témoigne régulièrement pour cette occupation d’un enthousiasme très mesuré (« Rien de neuf. Gravé du bois. »). Mais Edward nourrit d’autres ambitions. Il se rêve explorateur. Ou Premier Ministre, si jamais ça ne marche pas. Ou « du moins millionnaire ».
Lorsque son père l’envoie dans les Alpes en 1860 graver quelques illustrations pour le compte de l’Alpine Club naissant, Edward débarque en plein âge d’or de la conquête des Alpes. Il passe son galop d’essai en escaladant le Pelvoux, et s’extasie déjà devant le très convoité Cervin, qu’on lui décrit comme inaccessible. Les étés qui suivront, tous les prétextes seront bons pour retourner s’essayer sur les pentes de sommets vierges en général et du Cervin en particulier. Marcheur insatiable, Whymper voyage de vallée en vallée à un rythme effréné, et laisse un souvenir impérissable dans les livres d’or des lieux qui l’hébergent par sa droiture, son exigence et son orgueil. Depuis qu’il n’est plus là pour le prendre mal, on préfère le décrire comme un « sacré emmerdeur » par souci de concision.
Whymper, la machine à premières
Pendant qu’au Cervin, Jean-Antoine Carrel et John Tyndall se cassent les dents, Whymper se fait les siennes au sein du gotha montagnard de l’époque. Ses compatriotes Adolphus Moore, Horace Walker, ou les guides Christian Almer, Franz Biner et Michel Croz l’accompagnent dans des premières de prestige : la Barre des Écrins, l’Aiguille d’Argentière, le Mont Dolent en 1864, le Grand Cormier et la pointe qui porte son nom aux Grandes Jorasses en 1865… Whymper écume les hauts sommets des Alpes grâce à son sens de l’itinéraire et une bonne dose d’audace. Fait rare pour cet amateur de lieux inviolés, il entreprend aussi cette année-là une seconde ascension, celle de la Dent Blanche.
Il commet un impair le 27 juin 1865, en gravissant l’Aiguille Verte, la fierté des Chamoniards, sans guide local à ses côtés. Il essuie l’accueil hostile des autochtones à son retour, et ces derniers s’empresseront d’envoyer une équipe pour faire la deuxième ascension de la Verte par une voie plus difficile et ainsi laver l’affront.
Scrambles amongst un peu partout
La tragédie du Cervin et la perte de Michel Croz quelques jours plus tard coupent son appétit de conquête alpine, et Whymper consacre le reste de sa vie à l’exploration de contrées plus lointaines. Il sillonne les Andes en compagnie de Carrel, le rival battu du Cervin visiblement peu rancunier, et s’adjuge les premières du Chimborazo (6 263 mètres, Equateur) et de quelques autres volcans enneigés. Au Groenland, dans les Pyrénées et dans les Rocheuses Canadiennes, d’autres sommets font encore les frais de ses envies exploratrices. Son ouvrage Scrambles amongst the Alps sur ses six étés de pérégrinations dans l’arc alpin assoira sa notoriété et deviendra le premier best-seller d’un genre littéraire nouveau. Lorsqu’il meurt en 1911 dans sa chambre d’hôtel, oubliée la polémique de la Verte, Chamonix lui organise des funérailles dignes d’un enfant du pays. « Auteur – explorateur – montagnard » indique encore sa tombe au cimetière de Chamonix. Et quel montagnard !
Bibliographie :
- Escalades dans les Alpes, Edward Whymper (Hachette, 1873 ; Hoëbeke 2017)
- Whymper, le fou du Cervin, Max Chamson (Perrin, 1986 ; Hoëbeke, 2012)
- La cordée royale, Marcel Pérès (Guérin, 2011)
- Cervin absolu, Benoît Aymon (Guérin, 2015)

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