L’aiguille Verte

Le joyau chamoniard

Par Valentin Rakovsky

Couloir Whymper, Arête sans Nom, Arête des Grands Montets, Couloir Couturier, Nant Blanc, Arête du Moine, Arête du Jardin, Couloir Cordier, Couloir en Y… Les voies pour accéder au sommet de la Verte sont nombreuses, mais aucune n’est facile. Photogénique, proéminente, sélective et d’un intérêt alpinistique certain, voici autant de qualités qui font de l’aiguille Verte l’une des stars du massif du Mont-Blanc. Elle n’est pas visible depuis Chamonix mais pour peu que l’on s’enfonce un peu plus loin dans la vallée, on est rapidement dominé par cette citadelle de 4 122 mètres de haut.

Et pourquoi pas l’Aiguille Blanche ?

Recouverte de neige 365 jours par an en attendant que les glaciers du versant des Grands Montets ne finissent de fondre, et d’aspect principalement rocheux quand on la regarde de l’est ou du sud, la Verte n’a précisément pas grand-chose de vert. Difficile d’établir l’étymologie d’un nom aussi peu approprié. Des guides chamoniards vous diront qu’à l’automne, le soleil couchant lui donne des reflets verdâtres. La technique de marketing est implacable, puisqu’à l’automne les clients ne sont plus là pour vérifier cette hypothèse. On évoque aussi une proximité avec le « Montenvers » (lire « Mont en vert ») qui s’étale plus bas, de l’autre côté de la Mer de Glace, et qui, lui, est effectivement bien verdoyant. Une troisième possibilité consiste à déterrer du bas-latin le mot « varda », qui désignerait un château fort et qui aurait dérivé jusqu’à nous en devenant « Verte ». Rien de très convaincant, en somme.

Le mythe de la Verte est aussi alimenté par un dicton local selon lequel le sommet contrôlerait le climat dans la vallée : « Si Verte veut, mont Blanc ne peut ». Autrement dit, il arrive que le mont Blanc se recouvre d’un nuage lenticulaire en forme de soucoupe volante épousant parfaitement la forme du sommet et qu’on appelle un « âne » en jargon local. Ce nuage est habituellement un signe que la tempête approche, mais sur le mont Blanc, il ne fait pas autorité : ce n’est que si l’âne coiffe aussi le sommet de la Verte que la vallée doit s’attendre au mauvais temps. En fin de compte, c’est toujours la plus haute des aiguilles de Chamonix qui décide.

Un autre adage, bien plus vérifiable, voudrait aussi que l’on soit toujours contraint d’atteindre le sommet de la Verte avant le lever du soleil, sous peine de rester bloqué là-haut (le panorama du sommet ne rend pas cette menace très intimidante à première vue, je vous l’accorde). Dès qu’il fait trop chaud, le couloir Whymper, servant généralement d’itinéraire de descente, deviendrait rapidement impraticable.

De Charlet à Frison-Roche, les amoureux de la Verte

Ce couloir Whymper est celui de la première ascension, en 1865 et par l’Anglais du même nom. Ce bon vieil Edward, mettant fin à une série de vingt-cinq tentatives infructueuses sur la Verte, écrira que le sommet y est « assez grand pour y danser un quadrille ». Entreront dans la danse Kennedy, Hudson, Croz et consorts six jours plus tard par l’arête du Moine. Henri Cordier donnera lui aussi son nom à un couloir puis Alfred Mummery ouvrira en 1881 le couloir… en Y. Il aura heureusement l’occasion de laisser son nom ailleurs.  

Si en 1865, il fut reproché aux premiers ascensionnistes d’être grimpés au sommet sans Chamoniard, les enfants de la vallée se rattraperont largement au siècle suivant. Ainsi d’Armand Charlet, le chef de file de l’alpinisme français d’entre-deux guerres, à qui on attribue plus de cent ascensions de la Verte par dix-huit itinéraires différents dont de nombreuses premières, notamment le Nant Blanc et le Couloir Couturier (on aurait d’ailleurs aussi pu lui laisser un « Couloir Charlet », à celui-là…). Gaston Rébuffat lança un vibrant hommage à l’un de ses sommets fétiches : « Avant la Verte on est alpiniste, à la Verte on devient montagnard ». Et Pierre Servettaz, personnage principal de Premier de Cordée de Roger Frison-Roche, marqua aussi fictivement l’histoire de la Verte par son ascension. À quand la vôtre ?

Bibliographie :

  • Premier de Cordée, Roger Frison-Roche (Arthaud, 1942)
  • Whymper, le fou du Cervin, Max Chamson (Perrin, 1986 ; Hoëbeke, 2012)
L’aiguille Verte en août 2014 (Photo : Valentin Rakovsky)

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