Annapurna

Herzog, face sud et controverses

Géographiquement placé entre le Dhaulagiri et le Manaslu, l’Annapurna et ses 8091 mètres tiennent une place à part dans la grande histoire de l’alpinisme. Deux raisons principales à cela : il y a d’abord Maurice Herzog et la célèbre première de 1950 et puis il y a cette face sud, terrible, envoutante et meurtrière.

Annapurna 1950, la première conquête

Tout commence le 3 juin 1950 lorsque Maurice Herzog et Louis Lachenal parviennent au sommet de l’Annapurna. Pour la première fois dans l’histoire de l’alpinisme, une montagne de plus de 8000 mètres est gravie par l’Homme. La porte des conquêtes est désormais grande ouverte et les autres géants himalayens ne vont pas tarder à tomber les uns après les autres. A une époque où l’alpinisme est avant tout une histoire de conquête et de nationalisme, l’exploit d’Herzog et Lachenal résonne dans toute la France comme une immense victoire. Paris-Match tire à 320 000 exemplaires et Annapurna, premier 8000 se vend comme des petits pains. Pendant que Maurice Herzog devenu maire de Chamonix et ministre de De Gaulle se pavane dans la lumière, Terray, Rébuffat et surtout Lachenal restent dans l’ombre et ressassent leur rancœur à l’égard de leur chef aveuglé par son nationalisme exacerbé et sa soif de gloire.

Publiés pour la première fois en 1963, juste après sa mort, les Carnets du vertige de Louis Lachenal avaient été largement censurés par Gérard Herzog, le frère de Maurice et il faudra attendre 1996 et la version non édulcorée publiée par les Editions Guérin, pour avoir le fin mot de l’histoire. Gaston Rébuffat aussi est amère : « Ah, si Herzog au lieu de perdre ses gants avait perdu les drapeaux, comme j’aurais été heureux !… »* Sa biographie signée Yves Ballu (La montagne pour amie) donne une idée de l’emprise d’Herzog sur « son » Annapurna. Seul Lionel Terray donnera, dans « Les Conquérants de l’inutile », une version des faits à peu près en phase avec celle de son chef d’expédition.

La face Sud de l’Annapurna, paroi mythique

Passée la période des conquêtes en Himalaya, la fine fleur de l’alpinisme se détourne des voies normales pour se concentrer sur des itinéraires plus engagés et plus esthétiques. A l’Annapurna, c’est la gigantesque paroi de la face Sud qui est l’objet de tous les fantasmes. Au mois de mai 1970, les Anglais emmenés par le légendaire Chris Bonington vont en réussir la première qui sera endeuillée par la mort de Ian Clough, première victime d’une face qui s’avérera être l’une des plus meurtrière de l’Himalaya. Alex MacIntyre et Pierre Béghin y trouveront notamment la mort.

Parmi les ascensions les plus célèbres de la face Sud, notons celle de Nil Bohigas et Enric Lucas en 1984, qui ouvrirent la « voie des Catalans » en pur style alpin, celle tragique de Pierre Béghin et Jean-Christophe Lafaille en 1992, la première féminine de Wanda Rutkiewicz en 1991 ou encore la première hivernale réussie en 1987 par les Polonais Jerzy Kukuczka  et Artur Hajzer. Le solo controversé d’Ueli Steck en 2013 fait lui aussi partie de la légende d’une montagne dont l’histoire n’a rien à envier à l’Everest ou au K2.

* lire Annapurna, une affaire de cordée – David Roberts – Editions Guérin

Maurice Herzog, Annapurna 1950 - Paris-Match

5 Commentaires

  • Pampita - 2 janvier 2021 à 16 h 21 min

    « Seul Lionel Terray donnera une version des faits à peu près en phase avec celle de son chef d’expédition. »

    C’est déjà pas mal, non ? Ajoutons-y Ichac. C’est-à-dire, au final, la majorité des alpinistes ayant participé à l’expé.

  • Nico74120 - 12 mai 2021 à 15 h 58 min

    Bonjour et merci pour cet article.

    Je suis entrain de lire le livre d’Herzog et suis heureux de le faire avec esprit critique.
    Étant admirateur et partisan de la philosophie de Gaston Rébuffat, cette controverse met en lumière les différences fondamentales dans leur approches respectives de la montagne.
    Pour rebondir sur le commentaire mal avisé de « Pampita », je me permet de joindre le lien vers un article de 1995 du journal Libération écrit par le talentueux et éclairé Charlie Buffet sur le sujet : https://www.liberation.fr/sports/1996/11/25/annapurna-premier-8000-et-sommet-de-desinformationl-epopee-officielle-racontait-un-maurice-herzog-tr_187550/

    Bien sportivement,
    Nicolas C.

  • Pampita - 15 mai 2021 à 1 h 12 min

    @ Nicolas

    Sauf que cet article de Buffet est lui-même un sommet de désinformation, bourré de contre-vérité.

    Un exemple ? Lachenal était soit-disant « occulté » mais il arrive quand même à vendre 750 000 exemplaires des Carnets. Quel exploit pour quelqu’un qui a été « caché » au grand public !

    Bref, du grand n’importe quoi, des contradictions flagrantes en l’espace de quelques lignes…

    Vous parlez d’esprit critique. Précisément, conservez-le toujours quand vous lisez Buffet dont les mensonges sont légion.

    Bien sportivement

  • BOSSIÈRE Virginie - 23 avril 2022 à 2 h 10 min

    Merci @nico74120 pour votre lien sur l’article paru dans Libé que je viens de lire. J’ecoutais en podcast les archives de l’INA diffusées sur France Culture:
    https://www.franceculture.fr/emissions/serie/au-dela-des-sommets
    Et l’episode consacré à la première ascension de l’Anapurna, dans les larges extraits d’interviews de Maurice Herzog m’ont quelque peu chagrinée tant le reste de l’équipe et surtout Louis Lachenal étaient laissés de côté.
    J’avais lu adolescente vers la fin des années 1970 tous les grands récits d’ascension et les biographies d’alpinistes que j’avais pu trouver en bibliothèque en commençant par Les Carnets du Vertige de Louis Lachenal, dans la version que je ne savais pas bien sûr qu’elle avait été censurée.
    Je viens de comprendre 40 ans plus tard grâce à cet article que vous m’avez permis de découvrir en quoi consistait cette controverse vis à vis du livre de Maurice Herzog dont j’ai toujours entendu parler sans jamais réellement savoir…
    J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour les membres de cette expédition qui étaient guides de haute Montagne : Lachenal, Rebuffat, Terray car quelques années après avoir lu leurs livres j’ai pu admirer de loin les lignes pures des voies qu’ils avaient ouvertes ou même marcher dans leur trace comme lorsque j’ai pu grimper dans de grandes voies d’escalade. J’admirais et j’admire encore chacune de leur personnalité.
    Et ce soir encore plus.
    Ce sont eux qui m’ont inculqué les véritables valeurs de la Montagne et qui ont nourri ma passion précoce pour l’alpinisme
    Bien à vous et à nos Montagnes.

  • BOUCHER - 9 octobre 2022 à 16 h 10 min

    Après vos commentaires quelques peu erronés,surtout orientés par Buffet et Libération, lisez aujourd’hui
    Annapurna 1950 de Christian Greiling
    Bonne lecture

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