Annapurna face sud, voyage au bout de l’enfer
Dans un article précédent, nous avions décortiqué le style alpin, cette façon tout à fait raffinée de gravir les plus hautes montagnes sans artifice. Mais que serait l’élégance du style sans la beauté de l’itinéraire ? Et si la légende des Alpes s’est écrite dans les faces nord, en Himalaya c’est plutôt côté sud que les esthètes ont trouvé leurs voies. La face sud de l’Annapurna, envoutante à souhait, a ainsi attiré les plus grands alpinistes. Elle les a parfois aussi fait tomber…
Il y a donc deux façons de gravir l’Annapurna: comme un touriste un peu aventurier et comme un alpiniste de haut niveau. Le touriste empruntera la voie normale ouverte en 1950 par Maurice Herzog et sa clique tandis que le cador choisira la face sud et sa gigantesque paroi de 2500 mètres. Le touriste devra certes se méfier des avalanches, des chutes de séracs et du mauvais temps mais rien de comparable avec les écueils que réserve la face sud où la simple recherche d’un emplacement de bivouac peut s’avérer être un véritable casse-tête…
Dougal Haston et Don Whillans pour la première
La première de la face sud de l’Annapurna, c’est aux anglais qu’on la doit. Au mois de mai 1970, Don Whillans et Dougal Haston, tous deux membres de la lourde expédition dirigée par Chris Bonington, atteignirent le sommet après un siège de deux mois sur la montagne. Leur camarade Ian Clough fut malheureusement tué par une chute de sérac lors de la descente. Chris Bonington a raconté cette épopée dans un livre au titre très recherché, paru en 1972: « Annapurna Face Sud ».
En 1981, deux nouvelles voies sont ouvertes, toujours en style lourd, par des expéditions japonaise et polonaise. L’année suivante, c’est le phénoménal alpiniste britannique Alex MacIntyre qui allait être victime d’une chute de pierre sous les yeux de son ami et compagnon de cordée, le guide français René Ghilini. Ces deux-là tentaient d’ouvrir une nouvelle voie en style alpin sur le côté droit de la paroi. Cette voie sera finalement ouverte deux ans plus tard par une jolie cordée catalane composée de Nil Bohigas et Enric Lucas, qui, en cinq jours et en pur style alpin, réussirent l’un des exploits les plus fameux des années 80 en Himalaya. La voie est d’ailleurs depuis appelée « la voie Catalane ».
Et les femmes dans tout ça ?
A l’automne 1991, le polonais Krzysztof Wielicki atteignit le sommet via la voie Bonington en compagnie de Bogdan Stefko au cours d’une expédition qui comptait deux femmes dans ses rangs: la polonaise Wanda Rutkiewicz et la belge Ingrid Baeyens. La page wikipédia de cette dernière la mentionne comme étant la première femme à avoir gravi la face sud de l’Annapurna mais dans son ode à l’alpinisme polonais paru en 2014 aux éditions Nevicata – « Libre comme l’air » – Bernadette McDonald est catégorique: « Wanda continua seule et, au coucher du soleil, elle devint la première femme à atteindre le sommet de la face sud de l’Annapurna »*. Une chose est sûre, en cours de route Wielicki et Stefko la jugeant inapte pour le sommet conseillèrent vivement à Rutkiewicz de redescendre. Devant son refus, ils l’abandonnèrent et elle continua seule jusqu’au sommet qu’elle atteignit dans des circonstances qui restent aujourd’hui ambigües voire douteuses.
Béghin-Lafaille, tragédie dans la face sud
Mais l’histoire la plus invraisemblable de cette face, c’est en 1992 qu’elle a eu lieu, lorsque Pierre Béghin proposa à Jean-Christophe Lafaille de l’emmener faire ses premières armes en Himalaya pour ouvrir une nouvelle voie dans la face sud de l’Annapurna. Peu après avoir renoncé à 7200 mètres Lafaille vit soudainement disparaitre son ami dans l’abîme… l’Annapurna venait d’avaler Pierre Béghin, un des plus grands himalayiste de l’époque. Et lorsqu’une pierre vint lui fracasser le bras, la descente déjà compliquée tourna au calvaire pour Lafaille qui mettra presque cinq jours pour arriver au camp de base dans un état lamentable… Il reviendra pourtant en 1995 pour faire une tentative solitaire sur le pilier Bonington. Nouvel échec. C’est finalement en 2002, dix ans après le drame, qu’il parviendra au sommet avec Alberto Iñurrategi via l’arête est. Son histoire avec l’Annapurna, Jean-Christophe Lafaille l’a consignée dans un livre paru en 2003 aux éditions Guérin: « Prisonnier de l’Annapurna ».
Ueli Steck pour un solo de légende
Il faudra attendre 21 ans avant de voir la voie Béghin-Lafaille enfin achevée. Et de quelle manière ! Le 8 octobre 2013 l’alpiniste suisse Ueli Steck partait seul à l’assaut du mythe après le renoncement de son compagnon de cordée dès le début de la face. 28 heures plus tard, il était de retour au camp de base avec un Piolet d’Or dans le sac à dos !
Quinze jours à peine après l’exploit d’Ueli Steck, une nouvelle cordée se présenta au camp de base de l’Annapurna. Pour les français Stéphane Benoist et Yannick Graziani l’objectif était le même que celui du suisse: la Béghin-Lafaille. Deux succès en deux semaines ! C’en était trop pour l’Annapurna qui infligea aux deux hommes une descente dantesque effectuée en partie à la lumière du réchaud et qui couta plusieurs phalanges à Stéphane Benoist victime d’un sérieux coup de mou. Dans son très beau film « On ne marche qu’une fois sur la lune », le réalisateur Christophe Raylat revient sur ces deux ascensions au travers d’interviews qui font froid dans le dos.
Avant de vous lancer à votre tour dans cette fameuse face sud, je vous conseille de demander aux alpinistes du Groupe Militaire de Haute Montagne leur avis sur la question. Ils sont bien placés pour vous en parler puisqu’à l’automne dernier, l’Annapurna les a accueillis à grands coups de pierre et les a gentiment renvoyés du côté de Chamonix se faire encore un peu la main sur les petites faces nord…
Sachez enfin qu’en février 2014 l’association « Retour à la montagne » a organisé une soirée spéciale « Annapurna Face Sud » à laquelle ont participé Ueli Steck, Stéphane Benoist, Yannick Graziani, Enric Lucas, René Ghilini mais aussi le piolet de Maurice Herzog. La vidéo de cette soirée riche en émotion est disponible sur le site TV Mountain.
* Page 1943
Et la face sud de l’Annapurna, là voilà ! (Source: Wikimedia Commons)
2 Commentaires
pascaline - 18 avril 2016 à 16 h 27 min
tu t’y connais trop ! un jour il faudra que tu t’y frottes ! un truc pas trop dur, pas trop haut mais il faudra que tu tentes une grimpette
thomas - 18 avril 2016 à 18 h 02 min
J’ai beaucoup trop peur !
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