Dis papa, c’est quoi le style alpin ?

10 avril 2016 - 3 commentaires

Quoi de plus fascinant que les débats tournant autour de l’alpinisme ? Les sujets sont inépuisables, les participants aussi nombreux que loquaces et les conversations, toujours teintées de mauvaise foi, n’ont rien à envier à celles sur le hors-jeu de l’attaquant, fondement même du café matinal. Je vous propose aujourd’hui de nous attarder un peu sur l’un des sujets les plus en vogue dans la vallée : le style alpin.

Essentiellement utilisée en Himalaya, l’expression « en style alpin » se définit pourtant assez simplement: pas de corde fixe, pas de porteur et bien entendu, pas d’oxygène. C’est plus rapide, c’est moins cher, c’est plus propre, c’est plus classe mais c’est aussi beaucoup plus dangereux… A l’opposé, les expéditions dites « en style siège » – ou « style himalayen » – sont des expéditions lourdes avec de gros moyens, beaucoup de monde et un temps imparti bien moins contraignant. Pour ce genre d’expéditions, les alpinistes passent le plus clair de leur temps à équiper les passages difficiles avec des cordes fixes et à installer des camps d’altitude tout confort en trimballant le matos à grands coups de sherpas. C’est moins classe qu’en style alpin mais les chances de succès sont évidemment bien plus élevées.

Buhl et Messner, pionniers du style alpin

L’objectif des pionniers de l’himalayisme était clair: le sommet à tout prix. Et pour les énormes expéditions nationales organisées dans les années 50 la réussite importait plus que les moyens mis en œuvre, prestige national oblige. Il suffit de jeter un œil aux appendices du livre de John Hunt « Victoire sur l’Everest » pour comprendre que Hillary et Tenzing, même s’ils étaient seuls au sommet, ont bénéficié d’une sacrée organisation pour y parvenir. Le tableau détaillant les charges transportées pour l’assaut final est, à ce propos, assez éloquent… Pendant les trois mois qu’a duré l’expédition, la montagne s’est littéralement retrouvée en état de siège et c’est pratiquement dans un fauteuil que Tenzing Norgay et Sir Edmund Hillary ont cueilli la gloire le 29 mai 1953 sur le plus haut sommet du monde.

La même année, un homme va pourtant faire valdinguer cette façon, il est vrai, peu élégante de gravir les plus hauts sommets. Le 3 juillet 1953, l’alpiniste autrichien Hermann Buhl va en effet estomaquer les observateurs en atteignant seul le sommet du Nanga Parbat. Il avait, dans toute la première partie de l’ascension, bénéficié de la logistique de l’expédition organisée par Karl-Maria Herrligkoffer mais son final en solo et sans aide extérieure allait marquer les prémices d’un nouveau style en Himalaya : le style alpin. Quelques années plus tard, en 1957, ce même Hermann Buhl réussissait, accompagné de Kurt Diemberger, l’ascension du Broad Peak, sans porteur et sans oxygène, prouvant ainsi qu’il était possible de grimper en Himalaya pratiquement de la même façon que dans les Alpes.

L’autre grand précurseur du style alpin, c’est bien sûr l’Italien Reinhold Messner, premier homme aux quatorze 8 000. Fervent admirateur d’Hermann Buhl et défenseur invétéré des ascensions « by fair means« , Messner n’autorise aucune concession à sa vision de l’alpinisme: « l’aventure s’affadit dès que l’ambition de l’homme fait appel à la technique et la plus haute montagne rapetisse dès qu’on y vient rôder avec des centaines de porteurs, des pitons, des appareils à oxygène. (…) L’alpiniste qui, non content de ses propres forces, utilise drogues et appareils, se trompe lui-même. »(1). En 1975, il défraie la chronique en réussissant, avec Peter Habeler, la face nord-ouest du Gasherbrum I en seulement trois jours avec simplement une petite tente pour bivouaquer. Cette fois-ci, Le style alpin est bien né ! En 1978, il ouvre une nouvelle ère de l’himalayisme en réussissant une première historique, toujours en compagnie de Peter Habeler : l’ascension de l’Everest sans oxygène que beaucoup pensaient impossible. Révolution !

Style alpin, semi-alpin ou les deux ?

Mais alors, si les choses sont si claires, quel est donc ce fameux débat qui anime depuis des années la communauté des alpinistes ? La récente première hivernale au Nanga Parbat a, par exemple, suscité pas mal de discussions à ce sujet. Les trois alpinistes victorieux sont parvenus au sommet sans oxygène, ont porté eux-mêmes leur matériel mais ont utilisé des cordes fixes pour franchir les passages les plus difficiles. Dans une interview accordée au monde.fr Simone Moro le reconnait lui-même lorsque le journaliste lui fait remarquer que les puristes lui reprocheront d’avoir eu recours à des cordes fixes: « Les puristes auront raison. (…) Ce que nous avons accompli est une première, mais ce n’est qu’une étape. Un jour, quelqu’un réussira cette hivernale en style alpin. » Pour ce genre d’ascension, les puristes parleront donc de style « semi-alpin ». Même constat, par exemple, pour l’ascension du pourtant très pur Reinhold Messner au K2 en 1979. Pas d’oxygène, ni porteurs mais des cordes fixes au bas de l’éperon des Abruzzes. Comme quoi, il convient parfois aussi de parler de « semi-puristes »…

Mais la limite est parfois plus subtile… En 2002 sur les pentes de l’Everest, le journaliste Guillaume Vallot s’est retrouvé à partager sa tente avec l’alpiniste suisse Jean Troillet, historique compagnon de cordée d’Erhard Loretan et unanimement reconnu pour ses ascensions en style alpin. Tout en appréciant la bouffée d’air frais que lui offre son masque à oxygène, Vallot s’interroge: « De l’air frais, Jean Troillet n’en aura pas. Le grand himalayiste suisse s’interdit cet oxygène « par éthique autant que par sécurité ». Comme il s’est interdit de faire porter ses affaires personnelles par nos compagnons sherpas. Mais pourquoi diable son éthique l’autorise-t-elle à dormir dans une tente montée par eux, à s’assurer sur leurs cordes fixes ou à manger une (délicieuse) soupe préparée par leurs soins ? »(2). Attention Messieurs les puristes, si un sherpa d’une autre expédition vous ramasse le piolet qui vient de vous échapper, vous n’êtes plus qu’une semi-légende !

On l’a compris, le style alpin c’est bien mais c’est aussi très dangereux. Les alpinistes sont plus légers donc plus rapides donc moins exposés aux ravages provoqués par le manque d’oxygène sur l’organisme mais l’engagement est, en contrepartie, beaucoup plus important. Et même si les expéditions lourdes n’échappent pas aux drames, la liste des alpinistes disparus en tenant des ascensions en style alpin est aussi longue que le palmarès de Reinhold Messner… Citons par exemple Pierre Béghin qui chuta à l’Annapurna, Jean-Christophe Lafaille disparu au Makalu ou encore la fameuse cordée Peter Boardman-Joe Tasker victime de l’Everest en 1982…

Et dans la vie de tous les jours ?

Depuis que je suis tombé dans le fanatisme, je transpose ma vie de tous les jours en altitude. Toutes les épreuves que m’envoie la vie sont autant de crevasses à éviter et de ressauts à franchir, mais attention, toujours en style alpin ! J’élève mes enfants sans crier, j’apprends les paroles de la Reine des neiges, j’accompagne volontiers Madame Summit-day chez Ikea… c’est pas toujours facile… le renoncement est fréquent… L’écriture de cet article en style alpin – sans Google, ni dictionnaire – en est un parfait exemple… j’ai échoué… je l’avoue sans rougir… Mais le renoncement doit-il toujours être vu comme un échec ? Ce matin, par contre, je me suis fait un café « by fair means« . J’ai rempli le réservoir d’eau sans me servir de la graduation, j’ai versé le café à vue et je me suis lancé en solo, en assumant les risques et les conséquences… ce café-là méritait à coup sûr un Piolet d’Or !

(1) « Everest sans oxygène » – Reinhold Messner
(2) « 100 Alpinistes » – Editions Guérin – Portrait de Gerlinde Kaltenbrunner par Guillaume Vallot

Reinhold Messner, pionnier du style alpin
Reinhold Messner, un homme qui a du style…

3 Commentaires

  • Jean Philippe - 11 avril 2016 à 7 h 58 min

    Très bien vu, mais j’ai essayé de lire l’article en style alpin (sans lunette). Merde je ne suis pas un puriste !

  • thomas - 11 avril 2016 à 19 h 57 min

    Attention à l’ophtalmie des neiges !

  • Kaoru H - 29 octobre 2023 à 9 h 41 min

    Article intéressant, et pointe d’humour appréciée!

    Je me demande encore si s’assurer sur des cordes fixes pendant une partie de l’ascension enlève en partie de la difficulté: s’attacher a une corde fixe signifie-t-il dire qu’ils se contentent de se hisser a la corde, ou alors mettent ils encore a profit leur technique et utilisent la corde fixe seulement comme sécurité au cas ou ils tomberaient?

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