Grand Vignemale, premier 3 000

8 septembre 2017 - 14 commentaires

Vous voulez du Grand Alpinisme ? Je vais vous en donner. Car, voyez-vous, il se trouve que je me suis acheté un sac à dos. Eh oui ! Première course : le Grand Vignemale et ses 3 298 mètres, via sa terrifiante voie normale. Si le style alpin autorise les courbatures, il se pourrait bien que le Piolet d’Or guette les auteurs de cette ascension légendaire. Avec ce qui va suivre, Walter Bonatti peut aller se rhabiller, et chaudement, car il faisait un peu frais ce matin-là au pied du barrage d’Ossoue…

Marche d’approche

La question était de savoir si, oui ou non, le Grand Vignemale était faisable à la journée pour une cordée de godiches sous-entrainés à l’expérience proche du néant. « Le guide dit que ça se fait sans problème en évitant la nuit au refuge » avait répondu le chef d’expédition aux pleurnichards qui voyaient dans les 1 500 mètres de dénivelé un nid à emmerdes plus qu’une rando sympa entre amis : « Y a quand même un glacier et il parait qu’à la fin il faut mettre les mains ! C’est chaud ! ». L’affaire sentait le soufre et le mal des rimayes avait déjà fait son œuvre chez les plus lâches. « Moi j’irai sûrement pas en haut, mais je m’en fous, j’ai un sac à fleurs » avait magistralement conclu Pascaline au moment du départ qui fut précédé d’un terrible drame : le café était froid…

Avec ses chambres cosy et sa piscine à bulles nichées dans son cocon de verdure, l’accueillant hôtel des Marmottes de Viscos aurait mérité de recevoir une bonne frappe de napalm ce matin-là à quatre heures trente. Du café imbuvable et quelques croissants tout secs… Bafouer la première consigne du guide (un solide petit-déjeuner) avant même d’avoir quitté l’hôtel, nous tenions-là un exploit qui augurait de grandes choses pour le reste de la journée. Mais il en fallait plus pour faire renoncer les preux alpinistes en route vers le champ de bataille. Les derniers froussards qui comptaient sur la météo pour esquiver l’aventure sont servis : le ciel est limpide, nous ne verrons pas un nuage de la journée.

Drame aux grottes de Bellevue

Laurent, notre guide, est récupéré à cinq heures trente à Luz-Saint-Sauveur et le reste de la cordée à six heures à Gavarnie. Quelques instants plus tard, nous attaquons, dans la nuit encore noire, la troisième épreuve de la journée après le réveil et le café : les huit kilomètres de la piste défoncée qui mène au barrage d’Ossou, porte des enfers. La vache des Pyrénées n’a pas le talent du yack de la vallée du Khumbu pour planter le décor, mais lorsqu’il descend de sa voiture, l’alpiniste est déjà dans l’ambiance (ou chez le garagiste, selon la qualité de la voiture). Pendant que le soleil se lève sur le sentier presque plat longeant le lac en amont du barrage, nous nous chauffons les mollets sous le regard du guide qui jauge ses athlètes. Parmi les neuf prétendants au sommet pas un n’a un jour mis des crampons. Et lorsqu’il faut quitter le sentier pour attaquer le GR 10 et son escalier tortueux, certains tirent déjà la langue. Pour Guy et ses 63 ans, c’est déjà beau d’être là et faudrait pas non plus nous retarder. Plus inquiétant, Willy et sa bouche traditionnellement proportionnelle à son immense carcasse, sont étonnamment silencieux. A la première pause nécessaire pour ôter gants et polaires, il arrive déjà avec un retard presque aussi spectaculaire que les gouttes de sueur qui perlent sous son nez. Nous repartons, en laissant Guy se masser les cuisses.

Au bout d’un solide rampaillon qui nous dépose devant les fameuses grottes de Bellevue, à proximité du refuge de Baysselance, nous posons à nouveau nos sacs pour nous regrouper. Tandis que nous nous autorisons une pâte de fruit pour compenser le croissant, de curieux gémissements nous parviennent. La larve qui nous apparait soudain au loin n’a plus grand chose à voir avec l’alpiniste fringant qui, la veille encore, vantait les vertus d’une préparation légère. « C’est vraiment pour les gonzesses votre truc ! Bon… moi j’arrête… » annonce-t-il à la cantonade. Nous n’avons même pas quitté le GR 10 qu’il abandonne déjà. Il aurait mieux fait de rester au niveau de la mer avec son mental de mouette. Se sentant guetté par le Piolet de Mousse, il tente de convaincre sa mère de renoncer aussi mais Pascaline respecte trop son sac à fleurs pour s’arrêter là. Elle continue. Guy, qui semble bien décidé à faire décoller l’hélico, repart aussi.

Le glacier

Nous attaquons désormais la montée dans les gros cailloux qui doivent nous conduire au pied de celui qui nous rend hystériques depuis des semaines : le glacier. C’est là que le randonneur va enfin se transformer en alpiniste, peut être même en Grand Alpiniste ! En attendant Pascaline s’est transformée en cachet d’aspirine. Elle a fait honneur à la gent féminine et à son sac en donnant tout mais trop c’est trop… C’est aussi la fin pour notre chef d’expédition – qui lui sert accessoirement de mari – qui préfère redescendre avec elle par sécurité en renonçant dignement à ses ambitions personnelles qui l’auraient probablement conduit au sommet*. Pendant qu’une famille entière est décimée à l’arrière, je me pavane à l’avant aux côtés du guide. Je le questionne sur sa liste de courses : « L’aiguille de Blaitière, le Pilier du Frêney… » J’adore ! Je suis dans l’ambiance !

Et voilà le glacier ! C’est l’heure de mettre les crampons. « Vous pouvez marcher normalement avec les crampons mais faites quand même gaffe à vos mollets » recommande Laurent. « Rangez-moi aussi ces lanières qui trainent, y’a rien de mieux pour s’en prendre une belle ». Je suis en pleine forme et la sensation des crampons qui mordent parfaitement la glace me grise. Je file seul devant comme un demeuré. Je suis Hermann Buhl marchant magistralement vers le sommet du Nanga Parbat, je suis Edmund Hillary gravissant les derniers mètres de l’Everest, je suis Walter Bonatti au pilier du Dru, je suis un mélange de Reinhold Messner et de Lionel Terray, je suis soudain très fatigué…

L’escalade de la Pique Longue et le sommet

En l’espace de quelques mètres, je suis fracassé par la fatigue et l’altitude. Le léger mal de crâne que je me trainais depuis le réveil se transforme soudain en une atroce migraine. J’ai les tempes en fusion  et une furieuse envie de me vider l’estomac par la bouche. Je ne suis même pas à 3 000 mètres mais ma carrière d’himalayiste est déjà terminée… Je maudis cet enfoiré de Bonatti de m’avoir conduit jusqu’ici avec ses récits à la con. Laurent m’indique la sortie du mythique couloir de Gaube mais je n’ai même pas la force de faire le détour pour aller voir. Je m’en tamponne, je coupe au plus court. Mes camarades me rejoignent tout sourire au pied de la dernière difficulté : l’escalade de la Pique Longue qui doit nous conduire au sommet du Vignemale. Je confie mon désarroi à Martino qui me conseille de m’alimenter mais rien ne passe. Il insiste. Je serai plus tard obligé de l’insulter pour qu’il arrête.

Après avoir fourni un effort terrible pour enlever mes crampons, j’attaque la partie la plus dangereuse dans un état lamentable. Je crois même être victime d’hallucinations quand je vois Guy passer tout en souplesse au niveau de la célèbre grotte du Paradis du comte Russel où je finis par me trainer tant bien que mal. J’ai envie d’y entrer pour y mourir à l’abri du regard des choucas. J’avais lu dans de nombreux récits, qu’en arrivant au sommet d’une montagne, l’alpiniste oublie toutes ses souffrances pour plonger dans l’allégresse. C’est vrai. Au sommet du Grand Vignemale, je suis sorti du coma pour apprécier la vue, taper dans les mains de mes compagnons et même accepter une gorgée de la bière tendue par un groupe de jeunes qui pique-niquaient au sommet. Martino, P’tit Liron, Fabien et Kim sont là. Guy aussi ! Fabulous Guy ! Il fait 25°C, on se prend en photo, on se trouve beaux, on est heureux. Mais maintenant il faut redescendre.

La descente

Nous avons entamé la descente vers treize heures, je me suis réveillé à quinze heures la tête posée sur mon sac à dos près d’une rivière non loin des grottes de Bellevue. De ce qu’il s’est passé entre les deux, je n’ai qu’un vague souvenir. Il me semble avoir fini par accepter l’aspirine tendue par Kim, mais pour le reste il faudra demander à mes compagnons. Je me demande bien pourquoi j’ai mal au coude. En attendant, je suis de nouveau en forme. Je conseille à tous les gens souffrant de migraines chroniques, de perdre de l’altitude. C’est magique. Le parking est encore à deux heures de marche mais le plus dur est fait. A l’avant, Guy l’ultra-trailer virevolte comme un enfant de dix ans. Nous l’avions pris pour un vieillard cacochyme alors qu’il avait un K2 dans chaque jambe.

A dix-sept heures tapantes, nous franchissons le petit pont de bois qui met un terme au dénivelé et au calvaire. Au loin nous apercevons Willy qui semble avoir parfaitement récupéré et dont la bouche a retrouvé sa taille normale : « le guide a dit que j’avais été admirable d’avoir su renoncer ! ». Pascaline et Jean-Philippe viennent à notre rencontre et nous escortent jusqu’aux voitures où, bonheur ultime, nous pouvons enfin troquer les grosses contre les tongs. « Avant la Verte on est alpiniste, à la Verte on devient montagnard » disait Rébuffat. Nous voilà alpinistes et c’est déjà beau. Pour la Verte, on verra plus tard…

* Il y a quelques années, je l’ai vu ramper à côté de son vélo pour atteindre le sommet de l’Aubisque.

Le Grand Vignemale - Pique Longue
Le glacier d’Ossoue, la Pique Longue et le sommet du Grand Vignemale.

14 Commentaires

  • Willy - 8 septembre 2017 à 13 h 13 min

    Salope ! Je suis admirable de courage. Il faut savoir renoncer pour ne pas mettre la cordee en danger comme aurait dit walter…

  • thomas - 8 septembre 2017 à 15 h 40 min

    Je crois aussi que le guide a dit qu’il avait amené des enfants de 8 ans au sommet…

  • Ta sœur - 9 septembre 2017 à 7 h 43 min

    Ça donne presque envie … l’an prochain je pars avec vous !!!!

  • Jeanphi - 9 septembre 2017 à 9 h 35 min

    Belle histoire qui relate bien l essentiel. Mais quand même je n ai pas rampé pour atteindre le sommet de l Aubisque. J ai dignement atteint ce col mythique pour te payer un chocolat chaud alors que tu petais l email de tes dents tellement t étais congelé.
    Nous y reviendrons, c est écrit (juin 2018). Et j ai peur que notre guide ne voit que des dos.

  • thomas - 9 septembre 2017 à 10 h 37 min

    Tu permets ? C’est moi qui raconte !

  • Goubeau - 9 septembre 2017 à 10 h 12 min

    Bonjour, super sympa de vous retrouver avec votre style qui nous a réjouis ce matin au petit déjeuner ! Vous avez lu les livres de Yann Picq? Les 3 mousquetons et Corde à noeuds? À très bientôt ! Anne et Jean-Marc

  • thomas - 9 septembre 2017 à 10 h 42 min

    Je n’ai pas lu Yann Picq mais je découvre son blog à l’instant grâce à vous (http://yannpicq.blogspot.fr/) et je me le mets en favoris !

  • Goubeau - 9 septembre 2017 à 20 h 09 min

    Vous allez vous régaler !

  • Pascaline - 10 septembre 2017 à 18 h 06 min

    Je n’ai pas su m’arrêter à temps, mais, je n’ai pas dit mon dernier mot !

    Et puis j’adore trop mon sac à fleurs pour le laisser moisir dans le placard.

  • Voyages et Compagnie (Camille & Gaétan) - 11 septembre 2017 à 13 h 59 min

    Ohlala, ça donne vraiment envie ! C’est le genre de randonnée que l’on adore, qui sonne comme un défi et qui offre des panoramas d’exception. ♡

  • Kim - 1 octobre 2017 à 11 h 23 min

    Maintenant il manque la preuve photo que l’on est bien arrivé au sommet 🙂

  • thomas - 2 octobre 2017 à 7 h 49 min

    J’attends qu’Elizabeth Hawley me la réclame mais j’ai comme l’impression qu’elle s’en fout un peu…

  • Brice - 23 octobre 2017 à 19 h 19 min

    Félicitations Thomas pour cette belle ascension. Visiblement le plaisir a pris le pas sur la souffrance. Et pour ne rien gâcher, le bonnet te va à ravir.

  • thomas - 24 octobre 2017 à 9 h 14 min

    Merci vieux ! La prochaine fois, c’est toi le guide !

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