Nanga Parbat – Moro, Txikon, Sadpara, trois singes en hiver
Eh bien, ils l’ont eu ce salaud ! Ce vendredi 26 février 2016, peu après 15h30, Simone Moro, Alex Txikon et Ali Sadpara ont atteint le sommet du Nanga Parbat, réussissant ainsi la première ascension en hiver d’une montagne dont la rigueur du climat en cette saison repoussait depuis près de trente ans les innombrables assauts des ténors de l’alpinisme hivernal. Mais derrière cette ascension limpide réalisée en cinq jours, se cache une aventure de près de deux mois au cours desquels le camp de base du Nanga Parbat avait un peu des airs de Dallas. Récit.
Les 8000 en hiver, l’affaire des polonais
Jusqu’à vendredi dernier, il restait deux sommets de plus de 8000 mètres encore jamais gravis en hiver: le Nanga Parbat et le K2. Et si le camp de base du K2 est resté vide cette année, c’est bien sur « la montagne tueuse » – qui n’a tué personne cette année – que se sont concentrés les efforts des spécialistes des ascensions hivernales. Pas moins de cinq expéditions étaient en effet présentes cet hiver sur les deux versants de la montagne et parmi la vingtaine d’alpinistes à tenter leur chance, un bon paquet de polonais bien décidés à faire perdurer la tradition qui veut que la conquête des 8000 en hiver soit une spécialité maison – sur douze 8000 gravis en hiver, huit l’ont été par des Polonais.
Présentation des équipes :
Sur le versant Diamir, quatre équipes, neuf alpinistes:
- Les Polonais Adam Bielecki et Jacek Czech
- Le Polonais Tomek Mackiewicz et notre petite Française Elisabeth Revol
- L’Italien Simone Moro et sa compagne Tamara Lunger
- L’Espagnol Alex Txikon, l’Italien Daniele Nardi et le Pakistanais Ali Sadpara
Côté Rupal :
- Une seule équipe de neuf alpinistes polonais
Elisabeth Revol et Tomek Mackiewicz mordus par le froid
On le sait, la grande difficulté du Nanga Parbat en cette saison, outre des températures à geler un ours, c’est le vent et les fenêtres météo extrêmement rares. Une grande partie du boulot consiste donc à poireauter au camp de base dans l’espoir de voir arriver quelques jours de beau temps. Et après pratiquement un mois passé à s’acclimater et à attendre, Elisabeth Revol et Tomek Mackiewicz sont partis tenter leur chance. Mais le 23 janvier, une nuit en enfer par -50° les poussa à faire demi-tour après avoir atteint l’altitude de 7500 mètres sur la voie « Messner 2000 ». « Trop froid » dira par la suite Tomek pourtant réputé pour ne mettre ses gants que quand les doigts des autres commencent à tomber… une fois redescendu au camp de base, il déclarera qu’après six tentatives infructueuses en hiver sur le Nanga Parbat, il ne reviendrait pas… Pendant ce temps-là, Adam Bielecki et Jacek Czech avait eux aussi plié bagages, suite à la chute de 80 mètres de Bielecki, qui bien que légèrement blessé, préféra en rester là.
Cléo Weidlich, l’escroc du Rupal
Le 25 janvier, c’est l’équipe polonaise du versant Rupal qui annonce la fin de son expédition après avoir atteint l’altitude de 7500 mètres sur la très longue et difficile voie Schell. Le mauvais temps aura eu raison de leur volonté. Mais le 28 janvier, coup de théâtre: l’alpiniste américano-brésilienne Cléo Weidlich débarque au camp de base du Rupal en compagnie de trois sherpas, provoquant ainsi la stupeur des observateurs. Car en plus de ses sherpas, Cléo est également accompagnée d’une réputation peu flatteuse qui fait d’elle la spécialiste des ascensions « by dirty means » à la véracité parfois douteuse. De là à penser qu’elle aurait sa place aux côtés de Tomo Cesen ou Cesare Maestri, il n’y a qu’un pas et nombreux sont ceux qui pensent que voir son nom apparaitre au palmarès d’une ascension aussi difficile et convoitée relèverait de la mauvaise plaisanterie. La suite leur donna heureusement raison car, après quelques semaines passées à se faire les ongles au camp de base, Cléo s’en retourna chez elle sans avoir fait la moindre tentative…
Pendant ce temps-là, du côté du Diamir, on redistribue les cartes. Suivant les conseils de Tomek et Elisabeth jugeant la voie « Messner 2000 » très dangereuse, Simone Moro et Tamara Lunger décident de se recentrer sur la voie Kinshofer et de s’associer à l’équipe de Txikon, Nardi et Sadpara afin de mettre toutes les chances de leur côté. Mais à partir du 26 janvier le mauvais temps s’installe et une longue attente commence au camp de base.
Dispute, départ forcé, come back manqué… c’est Dallas au Nanga Parbat !
Le 4 février, nouveau coup de théâtre ! Contre toute attente, Tomek annonce son retour au camp de base ! Après avoir déclaré qu’il ne remettrait plus les pieds au Nanga Parbat, « Ice Warrior » revient sur ses pas en même temps que sur ses déclarations à chaud: « il y a encore une chance et je suis parfaitement acclimaté ». Problème, son porte-feuille est vide… il lance ainsi une campagne de crowdfunding pour tenter de récolter les quelques milliers d’euros nécessaires à son retour. Malgré la générosité de ses nombreux fans en Pologne, il devra pourtant abandonner son projet de come back et, la mort dans l’âme, se résoudra finalement à rentrer au bercail…
Les nombreux précédents dans l’histoire de l’himalayisme l’ont prouvé, la vie dans l’inconfort d’un camp de base n’est pas simple. Le désœuvrement et la promiscuité font parfois ressortir quelques rancœurs et les chefs d’expédition ont parfois bien du mal à gérer les égos et les caractères souvent exacerbés par les attentes interminables. Ainsi, le 8 février, Daniele Nardi annonce que, suite à un différend avec Alex Txikon, il quitte le camp de base. Leur triste règlement de compte en public via les réseaux sociaux, laissera apparaitre une sombre histoire d’argent dont on s’épargnera ici les sombres détails. Toujours est-il qu’au matin du 9 février, seuls quatre alpinistes étaient encore présents sur le Nanga Parbat: Simone Moro, Tamara Lunger, Alex Txikon et Ali Sadpara.
Camp to camp en fusion !
Mais il n’y a pas qu’au camp de base que l’impatience échauffa les esprits. Car pendant que nos quatre fantastiques gardaient les yeux rivés sur les prévisions météo, en France, sur le fameux forum du site communautaire Camp to camp la discussion s’enflammait et devenait peu à peu à l’image des évènements en cours sur la montagne: souvent passionnante, parfois pathétique mais toujours pimentée, à l’image des interventions de Pedro, qui derrière son côté troll des montagnes, eut le mérite d’ouvrir et de nourrir l’interminable fil de discussion d’informations palpitantes glanées çà et là. Et lorsque sur le Nanga Parbat, la fenêtre météo arriva enfin au soir du 21 février, la barre des 500 messages – près de 800 au final – était déjà franchie. Qui a dit que l’alpinisme ne passionnait plus les foules ?
Simone Moro, Alex Txikon et Ali Sadpara dans l’Histoire
Le 22 février à l’aube, les quatre alpinistes quittent le camp de base pour se diriger vers le camp 2 à 6 100 mètres d’altitude. La météo semble indiquer que le beau temps va durer jusqu’à la fin de la semaine. Malgré une acclimatation douteuse, leur chance est là, ils ont rendez-vous avec l’histoire et ils le savent. Après une nuit et une journée bloqués par le vent au camp 2, les quatre atteignent le camp 3 le 24 en fin de matinée. Le jour suivant, ils sont au camp 4 à 7100 mètres d’où ils pourront lancer leur tentative vers le sommet. Sur Camp to camp, grâce à l’application GPS qui permet de suivre Alex Txikon à la trace, un direct live s’organise un peu à la façon des matchs de foot sur lequipe.fr. La tension est à son comble !
Le 26 au petit matin, les quatre fantastiques quittent leur tente du camp 4 et grimpent rapidement vers le sommet. A 11h40 en France – 15h40 heure locale -, Simone Moro, Alex Txikon et Ali Sadpara sont au sommet ! L’exploit est là ! En renonçant, exténuée, à quelques encablures du sommet, Tamara Lunger a manqué de peu la première féminine. Une dernière polémique éphémère à propos de la position du sommet sur le tracker GPS n’enlèvera rien à la performance historique des nouveaux héros du Nanga Parbat qui pouvaient tranquillement entamer leur longue descente vers le camp de base qu’ils atteignirent sans encombre le lendemain. Le K2 peut commencer à trembler, je connais quelques alpinistes polonais qui ont une revanche à prendre !
Les quatre fantastiques avec de gauche à droite: Ali Sadpara, Alex Txikon, Simone Moro et Tamara Lunger
Pour finir, je vous propose de lire le joli texte publié à son retour par Eli Revol sur son blog: Nanga Light 2016.
Merci à tous ceux qui ont permis aux passionnés de suivre cette aventure historique, et particulièrement à Stefan Nestler, Altitude Pakistan et, bien sûr, aux nombreux contributeurs du fil de discussion sur Camp to camp !
2 Commentaires
Marcozouzou - 29 février 2016 à 12 h 44 min
Merci bcp pour cette synthèse !
pascaline - 29 février 2016 à 16 h 13 min
Bravo à ces 4 fantastiques et merci aussi pour la synthèse
Flux RSS pour les commentaires de cet article.
Laisser un commentaire