Le Sommet des Dieux // Jirô Taniguchi et Baku Yumemakura
Un manga dans la littérature de montagne
Au point de départ de ce qu’il convient d’appeler la frénésie du Sommet des Dieux, il y a un roman de l’auteur japonais Baku Yumemkura. Best-seller au Japon, son adaptation en manga par le célèbre dessinateur Jirô Taniguchi en fera un succès planétaire incontournable pour les amateurs de montagne comme pour les profanes, même ceux que le manga rebute. Et au point de départ de l’histoire, il y a George Mallory, Sandy Irvine et l’Everest.
L’appareil photo de Mallory en toile de fond
Un conseil avant tout : lorsque vous ouvrez Le Sommet des Dieux pour la première fois, ne faites pas comme moi, assurez-vous d’avoir les quatre autres tomes sous la main, ça vous évitera une nuit d’insomnie et une matinée à courir les libraires de la région. Car une fois que le cerveau a réussi à faire comprendre aux yeux qu’il faut changer de sens, la magie opère sans sommation et de façon irrémédiable.
Nous sommes donc en 1993 à Katmandou. Fukamachi, un photographe alpiniste en plein spleen, erre dans les rue de la capitale népalaise après une expédition à l’Everest qui a mal tourné. En entrant par hasard dans une boutique de matériel de montagne, il découvre ce qu’il croit être l’appareil photo que portait George Mallory lors de sa tentative funeste à l’Everest en 1924. S’ensuit alors une intrigue redoutable sur fond de trilogie en faces nord, de survie dans la Walker ou encore d’hivernale en solitaire dans la face sud-ouest de l’Everest. Du grand alpinisme au milieu des bulles !
Hasegawa, Ghirardini et Desmaison ?
L’enquête de Fukamachi le conduit rapidement vers Habu Jôji, alpiniste ténébreux et mystérieux, qui devient petit à petit le personnage central du livre et dont la rivalité avec Hase Tsuneo n’est pas sans rappeler celle entre Tsuneo Hasegawa et Ivano Ghirardini qui se livrèrent un duel farouche à la fin des années 70 pour savoir lequel serait le premier à réussir la fameuse trilogie hivernale solitaire des trois grandes faces nord des Alpes (Eiger, Cervin, Grandes Jorasses). L’auteur s’est d’ailleurs largement inspiré de Tsuneo Hasegawa pour créer son personnage Hase Tsuneo.
Je me permets d’émettre un léger doute sur la crédibilité de l’accident d’Habu dans les Grandes Jorasses (au début du tome II). Un dévissage, plusieurs côtes cassées, un bras et une jambe en carafe, plus de gants, plus d’anorak, une nuit passée dans l’enfer glacial de la Walker en plein hiver et le lendemain matin, notre héros trouve tout de même la force de remonter toute une longueur de corde à la force des dents pour retrouver son sac et installer sa tente sur une vire providentielle. Je sais bien qu’un héros se doit d’être indestructible mais tout de même… Un savant mélange de Bonatti, Messner et Desmaison aurait-il seulement réussi la moitié de ça ? Serge Gousseault en moins, l’épisode fait d’ailleurs penser à celui vécu par René Desmaison au même endroit en 1971*.
Hormis ce petit accroc, il faut bien reconnaitre que Le Sommet des Dieux est un petit bijou qui se dévore dans le bus, sous la couette ou le temps d’un bivouac. Peu importe, le lecteur sera de toute façon transporté en montagne. A la fois manga et véritable livre d’alpinisme, voilà une œuvre qui a incontestablement sa place parmi les classiques du genre.
* Lire 342 heures dans les Grandes Jorasses.
Le Sommet des Dieux, un chef d’œuvre en cinq tomes.
1 Commentaire
Gabriel - 30 septembre 2020 à 13 h 39 min
Je rejoins en tout point l’avis sur ce petit bijou !
J’ai malheureusement fait la même erreur, achat et lecture du seul premier tome avant d’avoir l’ensemble… Pire qu’un bivouac hivernal sans duvet !
En matière de bande dessinée, je ne peux que recommander les romans de Jean-Marc Rochette (en particulier Ailefroide altitude 3954, sublime). Sans doute déjà lu, mais au cas où, lecture impérative !
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