Lacedelli, Troillet, Hitler et un tripode : les photos de légende #3
La légende de l’alpinisme en dix photos, épisode 3. Au programme aujourd’hui : de la joie au sommet, des alpinistes fatigués, des sourires crispés et un tripode un peu seul. Je rappelle les règles du jeu : dix photos historiques dont nous cherchons le photographe, la date et le contexte. Pas toujours évident…
Jean Troillet, top chrono à l’Everest
Ce 30 août 1986 à 14h30, Erhard Loretan et Jean Troillet atteignent le sommet de l’Everest en seulement 40 heures depuis le camp de base via le couloir Hornbein. Plus que le chrono, c’est le style qui marque une génération d’hymalayistes. Pas de corde, pas de tente, pas duvet. Simplement un petit sac à dos chacun avec l’essentiel. Ultra-légers. Au dernier bivouac ils laissent leurs sacs à dos et Pierre Béghin qui les accompagnait jusque-là mais qui n’arrive plus à suivre. Quelques heures plus tard, Jean Troillet, fatigué et heureux, brandit son piolet sous l’objectif de Loretan. Mais le meilleur reste à venir : la descente. En cette période de mousson, la neige tombée en abondance leur permet de glisser sur les fesses tout en se servant de leur piolet pour contrôler. Trois heures leur suffisent pour rejoindre le camp de base. Mythique !
Trente ans plus tard, la photo fait l’affiche du film que Sébastien Devrient consacre à l’alpiniste suisse : « Jean Troillet, toujours aventurier ».
Louis Lachenal dans le flou de l’Annapurna
C’est sûr que quand il a fallu choisir la photo qui ferait la couverture du Paris-Match consacré à la victoire française à l’Annapurna le 3 juin 1950, celle-ci n’a pas dû remporter beaucoup de suffrages… Des photos d’Herzog au sommet, on n’en manque pas. De Lachenal, en revanche, il n’y en a qu’une et elle n’est pas folichonne… d’accord il manquait un peu d’entrain devant l’objectif le Biscante mais enfin tout de même ! C’est à se demander si le photographe n’a pas sciemment oublié de faire la mise au point pour être certain de faire la une… aujourd’hui encore, c’est un peu flou cette affaire…
La fausse joie de Vincendon et Henry
Cette photo aurait du être celle de la fin du calvaire pour Jean Vincendon et François Henry. L’hélicoptère des secours vient de se poser auprès des naufragés du mont Blanc mais malheureusement pour eux, il a atterri sur le dos… L’adjudant Blanc qui pilotait le Sikorsky S58 a raté sa manœuvre et les naufragés ne sont plus deux mais six… La photo prise par le guide Honoré Bonnet ne laisse pas de doute quant a l’état de Vincendon (de face) et Henry (de profil) qui viennent de passer cinq jours bloqués à plus de 4 000 mètres d’altitude dans un froid glacial… tous leurs membres sont gelés, comme soudés par le froid… Charles Germain (de face) tente des les réconforter mais il doit aussi s’occuper du capitaine Santini (de dos) choqué par le crash de l’hélicoptère et peu rompu aux conditions de la haute montagne. Malgré la situation dramatique, les deux jeunes alpinistes sont euphoriques : « On a fait la Brenva… on a fait le mont Blanc… C’est bien pour le GHM ? »* Nous sommes le 31 décembre 1956 et le calvaire de Vincendon et Henry est loin d’être fini…
* « Naufrage au Mont-Blanc » – Yves Ballu – Editions Glénat
Merci à Yves Ballu pour la photo.
Lino Lacedelli, le scélérat du K2
Regardez-le cet escroc ! Ah, il peut poser pour la photo ! Il a souffert pour arriver jusque-là. Le K2 sans oxygène, c’est une sacrée performance ! Le problème c’est que Achille Compagnoni, compagnon de cordée de Lino Lacedelli et photographe improvisé, aurait peut-être dû cadrer un peu mieux la photo de sorte qu’on ne voie pas les bouteilles d’oxygène posées à terre… Ce fameux oxygène soit disant sifflé par Bonatti qui aurait essayé de leur griller la politesse au sommet du K2 ce 31 juillet 1954… Mensonges ! Il s’en serait bien mis une petite goulée ce brave Walter pour s’aider à survivre à cette nuit atroce à plus de 8000 mètres, abandonné avec son sherpa par les deux gredins susnommés, mais c’est eux qui avaient les masques… Heureusement une étude approfondie de la photo du sommet et des témoignages suspects des vainqueurs du « cappa due » insinueront le doute chez des dirigeants du Club Alpin Italien qui rendront finalement justice à Bonatti après cinquante ans de palabres.
Photo: Club Alpin Italien
Everest 1924 : Mallory et Irvine pour la postérité
Si on le sort de la photo et qu’on le regarde tout seul, on pourrait le croire en train de poser pour un magazine de mode. Décontracté et formidablement élégant dans son petit costume, George Mallory (le deuxième en partant de la gauche au deuxième rang) s’apprête pourtant à s’attaquer une nouvelle fois à la face nord de l’Everest. A sa droite, Andrew Irvine a un peu plus l’air d’un aventurier mais l’équipement semble tout de même un peu sommaire pour une telle tentative. Si on connait le sort des deux hommes qui trouveront la mort le 8 ou 9 juin 1924, on ne sait toujours pas, près de cent ans plus tard, s’ils ont oui ou non atteint le sommet…
La seule chose dont on est sûr avec cette expédition, c’est que Edward Norton, situé à la gauche de Mallory sur cette photo de groupe prise par John Noel (photographe officiel de l’expédition), réussit à établir un nouveau record d’altitude (8 570 mètres) qui ne sera battu qu’en 1952 par le suisse Raymond Lambert et le sherpa Tenzing Norgay.
Assis au premier rang de gauche à droite : Edward Shebbeare, Geoffrey Bruce, Howard Somervell et Bentley Beetham. Au deuxième rang de gauche à droite : Andrew Irvine, George Mallory, Edward Norton, Noel Odell et John Macdonald
Moro, Txikon et Sadpara plus forts que l’hiver au Nanga Parbat
Cela faisait presque trente ans que le Nanga Parbat repoussait toutes les tentatives hivernales. Il faut dire que pour trouver une bonne fenêtre météo à cette période de l’année sur « la montagne tueuse », il faut se lever tôt. C’est justement ce qu’ont fait Alex Txikon, Simone Moro et Ali Sadpara ce 26 février 2016. Partis au petit matin du camp IV, ils atteignent le sommet vers 15h40 heure locale. Le ciel est bleu mais le froid est piquant. Ali Sadpara n’enlève surtout pas ses moufles pour brandir le drapeau du Pakistan sous l’objectif du troisième larron, l’espagnol Alex Txikon. Appuyé sur l’épaule du Pakistanais, Simone Moro jubile derrière son cache-nez : le Nanga Parbat est son neuvième 8000 et son quatrième en hiver. Après cette performance historique, le K2 reste le seul 8000 encore invaincu en hiver.
Photo © Archive Simone Moro
René Desmaison, survivant des Grandes Jorasses
29 février 1971, 14h55. Après plusieurs jours d’une attente insupportable, les familles de René Desmaison et de Serge Gousseault sont enfin fixées : c’est bien René qui vient de sortir de l’hélicoptère, très affaibli mais vivant. Le malheureux Serge Gousseault est donc resté là-haut, prisonnier des Grandes Jorasses, mort de fatigue et de froid… Nanouk, la fiancée de Serge, est effondrée… Sur cette photo prise par Pierre Habans pour Paris-Match, on voit un Desmaison au bout du rouleau, soutenu par Jean Franco (de dos) et un deuxième homme que je ne sais pas identifier. Desmaison, qui vient de passer 342 heures dans les Grandes Jorasses, peut remercier Alain Frébault (à gauche avec les lunettes de soleil), le pilote de l’Alouette qui vient de lui sauver la vie en réussissant l’exploit de se poser à plus de 4000 mètres d’altitude sur les Grandes Jorasses.
Photo tirée du livre La montagne en direct – Antoine Chandelier – Editions Guérin
Les vainqueurs de l’Eiger autour du Führer
La première de la face nord de l’Eiger, le Führer en rêvait presque autant que les quatre alpinistes qui ont fini par la dompter le 24 juillet 1938. Quel plus beau symbole pour la propagande nazie que deux allemands et deux autrichiens bravant les tempêtes et les pires difficultés pour se dresser au sommet de l’Ogre ? Ça valait bien une réception en grande pompe et une photo de groupe ! A la droite du Führer Heinrich Harrer puis Anderl Heckmair. A sa gauche, Fritz Kasparek, une jolie plante verte non grimpante, Ludwig Vörg puis deux dignitaires nazis certainement passionnés d’alpinisme. Certains, aux sourires un peu crispés, aimeraient peut-être être ailleurs… N’est-ce pas Monsieur Heckmair ? La photo a été prise à Breslau à la fin du mois de juillet 1938 par un photographe inconnu.
Voir l’article : Adolphe Hitler, chef de cordée
Hermann Buhl desséché au Nanga Parbat
Le solo d’Hermann Buhl au Nanga Parbat le 3 juillet 1953… Sacrée pièce d’himalayisme ! Il fallait en avoir pour partir comme ça, seul, engloutir les mille deux cents mètres restants pour être le premier au sommet du Nanga. Il fallait être un peu solide aussi, pour réussir à redescendre après un bon gros bivouac à 8000 mètres… Et puis il fallait être sympa pour se laisser photographier le lendemain, au retour au camp V. Le nez, les oreilles, les yeux… l’ensemble est en place quoique un peu séché par le froid et la fatigue. La photo est signée Hans Ertl, photographe de l’expédition venu à sa rencontre. Elle trône désormais dans pas mal de livres relatant d’exploits en montagne.
Un tripode chinois témoin oculaire de Messner à l’Everest
Deux ans après avoir prouvé, en compagnie de Peter Habeler, qu’il était possible de gravir l’Everest sans oxygène, Reinhold Messner en rajoute une couche. Le 20 août 1980, il est une nouvelle fois sur le toit du monde mais cette fois-ci il est venu seul, par la face nord et toujours sans oxygène. Comment prouver l’exploit ? En 1975, une équipe chinoise étant parvenue au sommet avait choisi de laisser un tripode en guise de preuve. Aubaine pour Messner qui n’a plus qu’à le prendre en photo et redescendre pour raconter tout ça dans un livre : « Les horizons vaincus. La face nord de l’Everest en solo », Arthaud, 1992.
Photo extraite du hors-série hiver 2015 de Montagne Magazine
3 Commentaires
pascaline - 30 octobre 2016 à 10 h 26 min
Pas frileux le Mallory, même pas d’écharpe !
Pastor - 30 octobre 2018 à 8 h 55 min
D’après Yves Ballu, sur la photo représentant Vincendon et Henry, celui qui est debout est François Henry. Jean Vincendon avait le visage noirci et était déjà incapable de tenir debout lors de l’arrivée des sauveteurs…
Terrible histoire, vraiment.
thomas - 30 octobre 2018 à 9 h 02 min
Dans la dernière édition illustrée parue chez Guérin, la légende de la photo est formelle : « A gauche, de profil : François Henry; de face, Jean Vincendon; à droite, Charles Germain. »
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