La fabuleuse histoire de l’alpinisme polonais. Niech żyje Polska !

16 novembre 2016 - 1 commentaire

Ils étaient forts, beaux, obstinés et ambitieux. Ils n’avaient peur de rien, ne doutaient de rien. Ils étaient libres. Ils étaient alpinistes et, par-dessus tout, ils étaient polonais. Ils débarquèrent en Himalaya au début des années 70 et posèrent pendant vingt ans leur marque de fabrique sur les plus belles et les plus hautes parois du monde. C’était leur époque et il n’y en a pas eu deux comme celle-là !

Des 8 000 contre la grisaille du communisme

En 1970, la Pologne est engluée dans la grisaille du communisme. Le zloty ne vaut rien, les denrées sont rares et la morosité ambiante se lit sur les visages des habitants de Varsovie, Cracovie ou Katowice, ville ouvrière dont le morne paysage se compose essentiellement des cheminées des usines. C’est pourtant là, aux portes des montagnes des Tatras, dans le Club Alpin de Katowice, que quelques grimpeurs ambitieux et assoiffés de liberté fomentèrent les plus formidables des expéditions himalayennes. De celles qui allaient marquer au fer rouge des générations d’alpinistes.

Tous ces alpinistes d’élite avaient un point en commun : l’histoire les avait endurcis, corps et âme. Ce n’était pas des alpinistes ordinaires. C’était des alpinistes polonais. Parmi ces alpinistes d’élite dont l’écrivain Bernadette McDonald parle avec tant de passion dans son excellent Libres comme l’air, se trouvent quelques légendes : Wanda Rutkiewicz, Wojciech « Voytek » Kurtyka, Jerzy « Jurek » Kukuczka ou encore Krzysztof Wielicki. Tous de la même génération, façonnée par la rigueur du communisme, formée à la dure école de l’escalade hivernale dans les Tatras, et tous confrontés au même problème : comment organiser une couteuse expédition en Himalaya quand on n’a pas trois zloty en poche ? Et si justement, la réponse était dans le zloty lui-même ?

Travaux acrobatiques et marché noir

La difficulté principale étant de se procurer des devises étrangères, les alpinistes polonais prenaient la route dans des camions bourrés de matériel acheté à pas cher en Pologne qu’ils revendaient très facilement au Pakistan ou au Népal. Même manigance au retour avec des vêtements en coton ou des bouteilles d’alcool achetés là-bas qu’ils refourguaient tout aussi facilement une fois de retour chez eux. Cet astucieux marché noir leur permettait non seulement de financer leurs expéditions mais également de vivre très correctement de retour au pays. Les alpinistes polonais profitaient ainsi du système communiste sans l’approuver pour autant. Beaucoup d’entre eux participèrent d’ailleurs à la création du mouvement démocratique Solidarnosc, aux côtés de Lech Walęsa en 1980. Mais leur liberté était à ce prix-là.

L’autre marché lucratif pour les grimpeurs de Katowice se trouvait au sommet des cheminées des usines dont l’altitude, bien que très inférieure à celle des sommets himalayens, n’était pas accessible au commun des peintres en bâtiment. Ce travail difficile mais lucratif permit ainsi à nombre d’entre eux de partir, les poches pleines, vers les sommets dont ils avaient tant rêvé. L’histoire ne dit pas si ces stages en altitude contribuaient à leur acclimatation mais ils leur permettaient au moins de s’exercer aux manipulations des cordes.

Zawada, Rutkiewicz, Kukuczka, Kurtyka, Wielicki, les légendes de l’alpinisme polonais

C’est ainsi que les camps de base des principaux sommets Himalayens virent débarquer, au début des années 70, des hordes de grimpeurs polonais aussi motivés qu’ambitieux. Il y avait là Andrzej Zawada, emblématique et charismatique leader de la plupart des grandes réussites polonaises (notamment sur les hivernales), la divine et complexe Wanda Rutkiewicz, obnubilée par les 8000 qui finiront par avoir raison de ses ambitions. En plus de compter huit 8 000 à son palmarès, elle fut la première femme à atteindre le sommet de K2 et elle fut la troisième à l’Everest en 1978. Jurek Kukuczka était peut-être le plus fort, le plus respecté. Il fut le deuxième homme à s’octroyer les quatorze 8 000, un an après l’imbattable Reinhold Messner mais en seulement huit ans. Après avoir réussi la première hivernale à l’Everest en 1980, Krzysztof Wielicki se spécialisa dans les ascensions éclairs, souvent en hiver, mais toujours pied au plancher. Il a, lui aussi gravi, tous les 8000. Wojciech Kurtyka était peut-être le plus romantique de tous. La course aux 8 000 ne l’intéressait pas, il préférait les belles parois aux records. Peut-être est-ce pour ça qu’il est encore en vie… Son ascension en 1985 de la face ouest du Gasherbrum IV, le fameux « Shining Wall », est certainement son joyau.

Mais ces exploits avaient un prix. En 1989, après la mort de cinq polonais sur les pentes de l’Everest, Elizabeth Hawley se fendit depuis Katmandou d’un compte rendu laconique : « Beaucoup trop de Polonais sont morts. » Les polonais, plus que les autres, étaient prêts à tous les risques pour ne pas retomber dans la grisaille du quotidien. Chaque expédition, ramenait ainsi son inévitable lot de drames… Quelques mois après l’avertissement d’Elizabeth Hawley, Kukuczka allait trouver la mort dans la face sud du Lhotse, son obsession. En 1992, c’est Wanda Rutkiewicz qui ne redescendit pas du Kangchenjunga qui aurait du être son neuvième 8 000. Tadeusz Piotrowski tomba au K2 en 1986 et, plus récemment, Artur Hajzer au Gasherbrum… Combien d’autres ? De cette glorieuse époque, ne restent aujourd’hui que Krzysztof Wielicki et Voytek Kurtyka qui vient de recevoir le Piolet d’or pour l’ensemble de sa carrière.

Hivernale au K2, qui d’autre que les polonais ?

En 1989, la chute de Jurek Kukuczka au Lhotse coïncide avec celle du mur de Berlin. Plus de mur, plus de marché noir. Les polonais deviennent des alpinistes comme les autres et c’est la fin de l’âge d’or de l’himalayisme polonais et d’une génération exceptionnelle qui aura prouvé, entre autres, qu’il était possible de survivre à 8000 mètres d’altitude en hiver. Mais la tradition de l’alpinisme hivernal polonais, si elle a perdu de sa superbe, n’a pas complétement disparu. Les tentatives de Tomek Mackiewicz ou Adam Bielecki au Nanga Parbat l’hiver dernier prouvent que la flamme brûle encore et même s’il a finalement renoncé pour cette année, Krzysztof Wielicki semble bien décidé à mettre sa gigantesque expérience au service de la jeune garde pour enfin résoudre l’énigme du K2, dernier géant himalayen à ne jamais avoir vu un alpiniste se dresser sur son sommet entre le 21 décembre et le 20 mars. Le défi est de taille mais je mettrais bien un petit zloty sur la Pologne !

Pour aller plus loin :

  • Libres comme l’air – Bernadette McDonald – Editions Nevicata (2014)
  • Portrait de Voytek Kurtyka dans Théorème de la peur – Greg Child – Editions Guérin (1993)
  • Portraits de Voytek Kurtyka, Jerzy Kukuczka et Wanda Rutkiewicz dans 100 Alpinistes – Editions Guérin (2015)
  • Art of Freedom – Documentaire sur l’âge d’or de l’alpinisme polonais
  • Kukuczka – Documentaire de Jerzy Porebski sur Jerzy Kukuczka

L'alpinisme polonais
Varsovie, 1982 : un des légendaires camions remplis d’alpinistes polonais, en route vers le K2 (photo Miroslav Wisniewski).

1 Commentaire

  • Anne Vincent - 17 novembre 2016 à 10 h 38 min

    Bientôt nous irons grimper dans les Tatras et pour moi peindre le fameux Dru fantôme… En saluant la génération des hautes pointures polonaises, ne manquez pas de citer Andrej Mröz dans les années 70-77. Encore un grand bravo pour votre site que nous attendons avec impatience!
    Anne et Jean-Marc

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