Catherine Destivelle

La reine de la grimpe

Par Valentin Rakovsky

Les années 80 pour la gente grimpante, ce sont les combinaisons fluos des alpinistes en une de Paris-Match, c’est l’affirmation de l’escalade sportive comme une discipline à part entière et ce sont des expéditions lointaines à foison. Autant de cases qu’a cochées sur son long CV alpin Catherine Destivelle, l’une des figures montagnardes les plus médiatisées de l’époque, y compris auprès du grand public.

L’ascension clandestine

Les parents de Catherine ne nourrissaient probablement pas d’ambitions aussi élevées pour leur fille lorsqu’ils l’emmenaient depuis la plus tendre enfance dans les rochers de Fontainebleau. Mais quand ils l’inscrivent dans un groupe d’escalade du CAF à l’âge de douze ans, elle surclasse très vite ses camarades… et au passage ses instructeurs et ses guides. Si la plupart enragent d’être battus par une gamine, l’un d’eux remarque ses dons et l’invite à grimper et à skier dans les Alpes. Le rêve absolu pour celle qui, à l’époque, aspire à devenir bergère ! La jeune Catherine fait alors le mur tous les week-ends depuis la gare de Lyon, jusqu’à ce que ne la trahissent un bronzage et une ophtalmie comme on en attrape peu en Île-de-France en plein printemps.

Ce n’est que partie remise, et la bride parentale finit par se desserrer. Bientôt accompagnée d’un autre Bleausard du nom de Pierre Richard, elle écume les Alpes entre 1976 et 1980. Verdon, Oisans, Vercors, Chamonix, Dolomites : partout, des regards mi-vexés, mi-amusés se tournent vers cette grimpeuse qui enchaîne les voies les plus difficiles de chaque secteur à seulement seize ans, souvent en révisant les horaires. Des itinéraires réputés, dont la face Nord de l’Olan ou la directe américaine aux Drus, sont eux aussi croqués au pas de course par cette étoile montante.

Professionnelle… et même un peu trop

Après qu’un début de carrière de kinésithérapeute et une passion soudaine pour les tables de poker l’ont éloignée un temps du monde de l’escalade, elle revient aux affaires en 1985. Le septième degré a été ouvert et l’escalade libre s’est développée entretemps, mais Catherine raccroche rapidement le wagon. Elle a beau avoir signé quelques années auparavant un manifeste contre l’apparition de compétitions d’escalade, son ami Lothar Mauch la persuade de participer à la toute première compétition organisée en Italie à Bardonnèche. Après sa victoire (évidemment), elle balaiera cette contradiction d’un revers de main devant les journalistes : il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis.

Les victoires en compétition s’enchaînent, de même que les films de ses ascensions, et Catherine Destivelle devient bientôt, au même titre que Patrick Edlinger, le visage de l’escalade auprès du grand public. Les sponsors se bousculent, mais l’intérêt de Destivelle pour les compétitions et la vie de grimpeuse professionnelle décroît. Le temps de réaliser le premier 8a+ féminin, elle s’oriente vers l’alpinisme et rencontre l’Américain Jeff Lowe, futur complice et compagnon de cordée, qui l’embarque en 1990 dans une expédition au Karakoram, jusqu’au sommet de la Tour Sans Nom du Trango (6 286 mètres).

De la médaillée à la Dame des Drus

Catherine Destivelle revient en France avec de nouveaux projets en tête, et décide de s’attaquer à l’ascension en solitaire du pilier Bonatti aux Drus, qu’elle réussit en seulement quatre heures ! La presse ne tarit pas d’éloge, mais en plus d’être rapide, Catherine est modeste et relativise son exploit par rapport à celui de Walter Bonatti qui avait tracé la voie 35 ans plus tôt. Cette réflexion accouche d’un nouveau projet : neuf mois plus tard, en juillet 1991, elle ouvre sa propre voie en escalade artificielle dans les Drus, venant à bout en 11 jours de 900 mètres de paroi, seule avec 80 kilos de vivres et de matériel.

Modeste, disions-nous, et exigeante avec ça : pour l’heure, les faits d’armes de Destivelle ont toujours lieu sur la roche. Sentant que sa conversion en alpiniste accomplie passe par le terrain glaciaire, elle se choisit un objectif à sa taille, et gravit la voie Heckmair dans la face Nord de l’Eiger en solitaire à l’hiver 1992. Désireuse de réaliser la fameuse trilogie, elle enchaîne avec les Grandes Jorasses l’hiver suivant. Mais cette nouvelle ascension solitaire et hivernale la laisse sur sa faim, et elle revoit ses ambitions à la hausse pour le troisième volet de la saga. En février 1994, plutôt que de passer par la classique voie Schmidt, Catherine Destivelle s’attaque seule à la face Nord du Cervin par la voie Bonatti, que personne n’a jamais répétée depuis son ouverture par l’illustre Walter, 29 ans plus tôt. À ce jour, elle est encore la seule femme à avoir réussi ces trois ascensions en solo et l’hiver…

À l’occasion d’une tentative initiée par Jeff Lowe dans la face Ouest du Makalu en 1993, elle rencontre Erik Decamp, le futur père de son fils. La cordée Destivelle – Decamp s’illustrera sur divers continents, au Shishapangma (8 027 mètres, par la voie Troillet-Loretan-Kurtyka en 1994) ou au « Peak 4 111 » en Antarctique (4 160 mètres, première ascension en 1996) où Catherine se cassera une jambe en chutant au moment de prendre la photo du sommet.

Depuis, Catherine Destivelle s’est calmée mais ne reste jamais très loin de la montagne. Elle dirige depuis 2017 les Éditions du Mont-Blanc, et c’est encore à sa porte que la presse généraliste frappe dès qu’il faut parler d’alpinisme. Elle est également membre du jury des Piolets d’Or, mais plutôt que de les lui faire distribuer, il serait à envisager que pour l’ensemble de son œuvre, on lui en donne un…

Pour plus de détails :

  • Ascensions, Catherine Destivelle (Arthaud, 2003)
  • Femmes au sommet, Reinhold Messner (Arthaud, 2011)

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