Cassin, Mazeaud, un pape et un mytho… les photos de légende #4

12 février 2017 - 7 commentaires

Certaines sont atrocement floues, d’autres sont mal cadrées ou prises avec les pieds… il y en a même une qui a été prise par un autre, c’est dire le niveau… Toutes ces photos ont pourtant un point commun non négligeable : elles sont mythiques. Voici le quatrième épisode de la désormais célèbre rubrique la légende de l’alpinisme en dix photos.

Pierre Mazeaud sauvé de l’enfer du Frêney

Nous sommes le 16 juillet 1961 vers six heures du matin. On pourrait croire à un condamné en route vers l’échafaud mais c’est pourtant l’inverse qu’il faut voir sur cette photo prise par Gérard Géry pour Paris-Match. Soutenu par ses sauveteurs, Pierre Mazeaud est en train de revenir vers la vie après avoir passé plusieurs jours dans la tempête sur le pilier du Frêney. Quelques heures plus tôt, pendant qu’Andrea Oggioni achevait son agonie sur l’épaule de Mazeaud, Walter Bonatti et Roberto Gallieni réussissaient à atteindre le refuge Gamba et à déclencher les secours. C’était trop tard pour Antoine Vieille et Robert Guillaume tombés la veille mais aussi pour Pierre Kolhmann, mort à seulement quelques mètres du refuge…

Voir les articles La tragédie du Pilier du Frêney et Pilier du Frêney 1961 : drame, première et controverse.

Pierre Mazeaud survivant de la tragédie du Pilier du Frêney en 1961
Photo extraite du livre La montagne à la Une aux éditions du Mont-Blanc

Quand Riccardo Cassin raconte sa Walker

« Je dédie ma victoire au sport fasciste ». Tels sont peut-être les mots qui sortent de la bouche de Riccardo Cassin au moment où le journaliste Guido Tonella appuie sur le déclencheur de son appareil photo. Une dédicace sortie un peu vite qui le suivra longtemps et l’obligera à se justifier par la suite*. La victoire en question n’est pas n’importe laquelle puisqu’il s’agit de la première de l’éperon Walker aux Grandes Jorasses. Vexé de s’être fait souffler la première de la face nord de l’Eiger par Heckmair et sa bande quelques jours plus tôt, Cassin se lance bille en tête dans la Walker le 4 août 1938 avec à ses côtés Luigi Esposito et Ugo Tizzoni. Il a déjà réalisé de grandes choses dans les Dolomites mais c’est sa première ascension dans les Alpes occidentales dont il ne connait rien. Le 6 août (probablement la date de la photo), le grand problème Walker est résolu et avec la manière. Plutôt que l’apologie du fascisme, on préfère imaginer qu’il est en train de raconter avec quelle maestria il a dompté la bête. En tout cas, le public est attentif.

* Voir l’article d’Yves Ballu : Riccardo Cassin fasciste ?

Riccardo Cassin après la Walker en 1938

Bill Tilman à l’aise sur la Nanda Nevi

On est pas bien là ? Paisible… à la fraiche… décontracté du gant… et on grimpera quand on aura envie de grimper. Voilà une attitude que n’aurait pas reniée la cordée Dewaere-Depardieu. On ne sait pas si la photo a été prise avant ou après avoir atteint le sommet de la Nanda Devi mais Bill Tilman n’a pas l’air mécontent d’être là. Il faut dire que ce genre d’expédition légère et peu couteuse correspond mieux à sa vision de l’alpinisme que les lourdes expéditions britanniques à l’Everest par exemple. Avant d’en réussir la première en 1936 en compagnie de Noel Odell, Bill Tilman avait déjà fait une reconnaissance deux ans auparavant avec Eric Shipton mais leur ascension avait été interrompue par la mousson. Odell est peut-être l’auteur de la photo mais dans le livre 100 Alpinistes, les éditions Guérin mentionnent la Royal Geographical Society.

Bill Tilman à la Nanda Devi

Jean-Paul II face à l’Everest

En 1953, la nouvelle du succès à l’Everest était arrivée à Londres le jour du couronnement de la reine Elizabeth, ce qui ne gâcha pas franchement la fête. Quelques années plus tard, c’est le peuple polonais qui vit arriver deux bonnes nouvelles le même jour. Le 16 octobre 1978, pendant que Karol Wojtyła devenait le pape Jean-Paul II, Wanda Rutkiewicz réussissait la première polonaise et la troisième féminine à l’Everest. Délire à Varsovie ! En juin 1979, à l’occasion de sa visite en Pologne, le nouveau pape fut invité à rencontrer Wanda qui profita de l’évènement pour lui remettre un petit caillou cueilli sur le toit du monde. « Cela a dû être la volonté de Dieu que nous soyons tous deux placés si haut le même jour. » déclara-t-il visiblement ravi. C’est à cette occasion que fut prise cette photo sur laquelle on devine un certain respect dans les yeux de l’alpiniste.

Wanda Rutkiewicz rencontre le pape Jean-Paul II
Photo issue du livre Libres comme l’air de Bernadette McDonald.

Lionel Terray marche sur le Makalu

La conquête du Makalu ne fut pas la plus compliquée des quatorze 8000. Une bonne reconnaissance l’année précédente, une météo parfaite, un peu d’oxygène, des alpinistes au top de leur forme et voilà Lionel Terray et Jean Couzy au sommet le 15 mai 1955 à 12h30. Après coup, Terray eut même le toupet de se dire déçu de la facilité avec laquelle le sommet fut atteint. Sur la photo prise par Jean Couzy, il semble littéralement marcher sur la montagne qui, malgré ses 8 463 mètres, parait minuscule par rapport à l’alpiniste. Vous la trouverez dans le Paris-Match n°337 du 10 septembre 1955 ou alors dans le très beau La montagne à la Une des éditions du Mont-Blanc.

Lionel Terray au sommet du Makalu en 1955

La dernière photo de Mallory et Irvine

Regardez-les bien, vous ne les reverrez plus. Cette photo prise par Noel Odell le 6 juin 1924 à 8h40 est la dernière de George Mallory et Sandy Irvine avant leur fameuse disparition sur le versant nord de l’Everest. Les deux hommes s’apprêtent à partir du col Nord pour une ultime tentative vers le sommet. Au bob et à la carrure, je crois pouvoir dire que Irvine tourne le dos au photographe. L’équipement à oxygène a l’air bien lourd et encombrant pour une telle entreprise mais d’après Mallory, c’était la clé de la réussite. S’il avait su que c’était la dernière, Odell se serait probablement appliqué un peu plus…

George Mallory et Sandy Irvine quittent le col nord pour leur tentative vers le sommet
Photo extraite du livre de Conrad Anker et David Roberts : Mallory & Irvine, à la recherche des fantômes de l’Everest

Toshio Imanishi, premier au sommet du Manaslu

N’est-t-elle pas un peu Herzoguienne cette photo de la première du Manaslu ? On prétend être au sommet alors que ça monte encore à la droite du drapeau ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire Monsieur Imanishi ? Heureusement que sur l’autre photo du sommet on comprend vite qu’en avançant encore un peu, l’alpiniste japonais aurait risqué de basculer dans le vide… Ce cliché à la mise au point douteuse a été pris le 9 mai 1956 par Gyalzen Norbu, compagnon de cordée de Toshio Imanishi. Je l’ai chipé sur le très joli site japonais retraçant cette aventure : toshio.imanishigumi.co.jp

Toshio Imanishi au sommet du Manaslu le 9 mai 1956

Tomo Česen, l’imposteur du Lhotse

Au printemps 1990, l’alpiniste slovène Tomo Česen déclare avoir gravi en solitaire et en un temps défiant toute concurrence, ce qui était alors considéré comme l’un des derniers grands problèmes de l’Himalaya : la face sud du Lhotse. Le petit monde de l’alpinisme applaudit à tout rompre, bravo monsieur. Dans son numéro de juillet-août de la même année, le magazine Vertical relate l’ascension et publie les photos fournies par Česen. Sur l’une d’entre elles, on découvre la combe ouest de l’Everest prise depuis le sommet du Lhotse. Superbe ! Trois ans plus tard, en 1993, un autre alpiniste slovène, Viki Grošelj, croit s’étrangler en parcourant le magazine. Cette photo attestant la réussite de Česen est la sienne ! Il l’a prise lors de son expédition de 1981 et l’avait donnée à son ami Česen pour qu’il prépare son ascension de 1990. Česen, dont certains doutaient déjà de l’honnêteté*, est démasqué… 27 ans après, l’affaire continue de faire couler de l’encre puisque dans le dernier numéro du magazine Vertical, le journaliste Rodolphe Popier publie une enquête qui achève d’enfoncer Tomo le mytho. Retrouver cette photo dans cette rubrique est peut-être un peu exagéré, j’en conviens, mais cette histoire tout de même !

* Quelques mois après Česen, une expédition russe qui avait elle aussi réussi l’ascension de la face sud du Lhotse, mit sérieusement en doute le fait qu’un homme seul ait pu en venir à bout.

Photo volée par Tomo Cesen à Viki Groselj
La combe ouest de l’Everest vu du sommet du Lhotse (photo : Tomo Česen Viki Grošelj)

Lulu Bérardini sans gant dans la face sud de l’Aconcagua

En 1954, à près de 7 000 mètres d’altitude dans la face sud de l’Aconcagua, par -25°C, Lucien Béraradini a accompli un geste insensé. Alors que le sommet n’est plus très loin, Robert Paragot et sa bande sont bloqués par un éperon rocheux qui parait infranchissable vu de leur état de fatigue. Mais le point de non retour est atteint depuis longtemps, la descente n’est plus possible… c’est le sommet ou la mort… Dans un geste désespéré, Bérardini enlève ses gants et se lance à l’assaut de la barre rocheuse. Il sait qu’il va probablement perdre ses doigts mais il y va quand même. Quelques instants plus tard, ses amis se hissent jusqu’à lui grâce à la corde qu’il leur a envoyée. Le sommet est dans la poche. J’aimerais pouvoir dire que cette photo montre Lucien Béraradini dans son geste héroïque mais je ne suis sûr de rien… Si elle n’était pas d’une autre époque, on pourrait zoomer sur ses mains mais là… Une chose est sûre, c’était dans la face sud de l’Aconcagua, autour du 24 février 1954 et c’est son ami Robert Paragot qui est derrière l’objectif.

Lucien Bérardini dans la face sud de l'Aconcagua en 1954

Alex Honnold, shooting vertigineux au Half Dome

Des mises au point moisies, des cadrages foirés, des drames en noir et blanc, des mensonges hauts en couleur… Voilà une sélection à vous mettre le moral dans les guêtres… Alors pour finir sur une note plus sympa, je vous propose ce cliché magistral que l’on doit à Jimmy Chin, qui en plus d’être un alpiniste remarquable est aussi un photographe de talent. Il nous offre ici Alex Honnold dans toute la splendeur de son élément. Nous sommes sur la célèbre vire nommée Thank God Ledge au beau milieu de la paroi du Half Dome dans le Yosemite, temple de la grimpe s’il en est. Avant de faire le tour du monde, la photo a fait la couverture du National Geographic de mai 2011. Le making of de ce shooting vertigineux est disponible sur le site gearjunkie.com sous la forme d’une interview de Jimmy Chin.

Alex Honnold au Half Dome

7 Commentaires

  • alain cokkinos - 12 février 2017 à 20 h 27 min

    Hugh!

    Comme le disait Maurice Barrard, il y a les histoires et celles que l’ on racontent.

    Solo en 1983 sur Nhun en 83, (à vaches), Deputy Leader en 84 sur le Broad Peak, Leader en 86, j’ai appris à faire la part entre certaines personnalités.
    De mon expérience, je n’ ai rencontré que cinq « authentiques » : RienmarJoswig, Anatoly Bouktreev, Jullie Tullis ( qui m’ a sauvé la vie en 84 sur le Broad Peak), Wanda Rutkievicz,et Michel Parmentier.
    j’ai «  »croisé » R. Messner après son doublé GI/GII:  » It would be very hard to repeat it », et pour moi… il est totalement crédible.
    Pour le reste,j’ aimerais…plus de sincérité.
    alain cokkinos. ( La répétition, est à la base de la pédagogie)

  • Mazeaud - 14 février 2017 à 8 h 12 min

    Je ne comprends pas le titre, Mazeaud n est pas un mytho!?

  • thomas - 14 février 2017 à 10 h 15 min

    Si certainement, comme tout homme politique, mais ça n’est pas le propos. A moins qu’il ne s’agisse d’autre chose, miss Mazeaud ?

  • Pierre Marie Girardot - 7 mars 2017 à 22 h 18 min

    Bonsoir,
    Je suis à Chamonix sous la neige. J’ai quitté ma Bretagne d’adoption pour me ressourcer en altitude. Les temps changent et on est connecté (presque) partout. Je viens de recevoir la dernière mouture « Paris-Chamonix ». Les temps heureusement ont changé !
    Mais mon commentaire part sur une autre voie.
    Avant d’aller plus loin, chapeau pour le site (ou le blog). Je le lis avec plaisir. Je n’ai aucune prétention d’alpiniste de haute volée mais si je suis moi aussi sensible au froid j’aime toujours bien monter.
    Ayant lu récemment un certain nombre d’ouvrages de référence notamment sur les expéditions à l’Everest j’ai apprécié la belle photo de Wanda Rutkiewicz dont je connaissais les exploits. Bien vue la réponse de Jean Paul II.
    Dans le sillage, juste pour remplir la ligne, un lien sur un modeste blog que j’entretiens trop épisodiquement par manque de temps (le médecin que je suis a du mal à quitter son univers !). Sans doute le style est-il très personnel et très (trop?) spirituel. Mais je ne vais pas renoncer à ce que je suis dans mon être profond. En fait le point de départ est le titre d’un livre qui n’a pas grand chose voir avec la montagne et auquel je voulais donner une autre dimension. La suite est à venir… quand je trouverai le temps… c’est quand même en cours.
    Merci pour les articles. Et -c’est pour moi un critère !- il est remarquable pour le style et la perfection de l’écriture.

  • thomas - 8 mars 2017 à 10 h 40 min

    Merci pour le commentaire et lien vers l’article. Je ne sais pas si par leurs aventures parfois à la limite du mystique, les alpinistes sont plus croyants que les autres mais le sujet mériterait peut-être effectivement d’être creusé.

  • frédéric RIBEYROLS - 17 avril 2017 à 14 h 06 min

    je suis hémiplégique aujourd’hui.j’ai gravi l’Aconcagua et un fait un nombre que je ne connais de première hivernales en solitaire.
    Du fait qu’à l’époque je ne les comptais pas souvent 2 par week-end.
    j’ai 62 ans parfois une hivernale me reviens, mais il n’y a que moi qui le sait.
    Avec peut être une séance d’hypnose je retrouverai la mémoire.
    Fred

  • frédéric RIBEYROLS - 17 avril 2017 à 14 h 33 min

    répondre a Thomas:
    Quand tu vas à l’extrême limite tu découvre ce que tout le monde entier aimerait savoir.
    On est très peu a savoir, voir une main !!!
    Cela interpelle !!!
    Et savoir ce n’est pas être mystique.
    Tu sais après parfois tu en parle mais tu n’obtient que des regards dubitatifs.
    a plus Fred

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