La légende de l’alpinisme en dix photos #2

24 avril 2016 - Pas de commentaire

Voici un nouvel épisode de la série « photos de légende ». J’ai choisi dix nouveaux clichés qui, par leur contexte, leur beauté ou leur singularité, font date dans l’histoire de l’alpinisme. Encore une fois, j’ai tenté le difficile exercice d’en trouver la date, l’auteur et les circonstances.

1. Peter Boardman et Joe Tasker au Kangchenjunga en 1979

Si on enlève les combinaisons et le décor on pourrait croire qu’il s’agit de deux pères de famille en train de tailler le bout de gras sur un banc mais il se trouve que nous sommes à environ 8 500 mètres d’altitude, juste en-dessous du sommet du Kangchenjunga. Peter Boardman et Joe Tasker posent pour la postérité sous l’objectif de Doug Scott. Cette première ascension par l’arête ouest du Kangch’ le 16 mai 1979 marque « l’apothéose du style alpin léger en Himalaya »*. Ces deux-là, indissociables, trouveront la mort trois ans et un jour plus tard à l’Everest. Notons que cette expédition comptait également dans ses rangs le chamoniard Georges Bettembourg, petit fils de Georges Charlet, frère d’Armand, légendaire guide de Chamonix.

* « 100 Alpinistes » – Edition Guérin – Portrait de Doug Scott par Victor Saunders

Peter Boardman et Joe Tasker au Kangchenjunga en 1979
Source: thebmc.co.uk

2. Pilier du Frêney 1961: la nouba avant le drame

Nous sommes le 8 juillet 1961 au refuge de La Fourche sur les pentes du Mont Blanc. Pierre Mazeaud, Robert Guillaume, Antoine Vieille et Pierre Kolhmann rigolent un bon coup avant d’attaquer l’ascension du pilier du Frêney. Pour les trois derniers cités, cette séance de rigolade sera la dernière… ils ne survivront pas à l’orage qui les obligera à une terrible retraite et une agonie de plusieurs jours qui emportera également l’italien Andrea Oggioni… On notera le pansement autour du bras droit de Robert Guillaume peut-être victime de la prise de sang la plus inutile de l’histoire de l’alpinisme…

Mon article complet sur le sujet: « la tragédie du pilier du Frêney ».

Tragédie du pilier Frêney en 1961
En haut: Antoine Vieille à gauche, Pierre Kolhman à droite. Au milieu: Robert Guillaume. En bas: Pierre Mazeaud. La photo a été prise au moyen d’un retardateur. (source: summitpost.org)

3. Les mains gelées de Maurice Herzog

Photographe et cinéaste officiel de l’expédition française à l’Annapurna en 1950, Marcel Ichac est rentré en France avec un trésor: des centaines de pellicules photo ! Parmi les plus célèbres, celle-ci, pathétique, montre Maurice Herzog qui vient d’arriver au camp II, le 5 juin, deux jours après avoir atteint le sommet en compagnie de Louis Lachenal. Il a les mains gelées, le regard hagard et l’air terriblement fatigué mais la photo est trompeuse… Herzog est aux anges: « La victoire que nous ramenons restera dans nos cœurs comme une joie éclatante »*.

* « Annapurna, premier 8 000 » – Maurice Herzog

Maurice Herzog - Annapurna 1950
© L. de Boissieu Ichac

4. Première hivernale à l’Everest, la photo d’équipe

Deux mystères pour cette photo: a-t-elle était prise avant ou après l’ascension et qui a appuyé sur le bouton ? La fiche Wikipédia est formelle, l’auteur du cliché est Bogdan Jankowski. Problème, il est aussi sur la photo… alors quoi ? Un retardateur ? Peut-être… Une chose est sûre : le 17 février 1980, Krzysztof Wielicki et Leszek Cichy étaient au sommet de l’Everest, réalisant ainsi la première hivernale sur un 8 000. Sur cette photo d’équipe qui comprend 26 alpinistes, je crois situer Wielicki au deuxième rang, en plein milieu avec Cichy à sa droite. Dans les années suivantes, les Polonais vont devenir les maitres des hivernales en Himalaya.

Everest hiver 1980

5. Les Français sur le Toit du Monde

Le 15 octobre 1978, les Français atteignent pour la première fois le sommet de l’Everest. Jean Afanassieff, Nicolas Jaeger et Pierre Mazeaud sont les heureux élus ! Ils sont accompagnés de l’Autrichien Kurt Diemberger qui, en sa qualité de photographe, est probablement l’auteur de ce cliché sur lequel on voit un Pierre Mazeaud aux couleurs des Pays-Bas récents finalistes de la coupe du monde de foot 1978. Après avoir ôté son masque à oxygène, il tente d’agiter un drapeau français au bout de son piolet. C’est un peu raté… « Enfin, vingt-cinq ans après Hillary, notre drapeau sur le Toit du Monde… »*.

* « Everest 1978 » – Pierre Mazeaud

Pierre Mazeaud au sommet de l'Everest en 1978
Photo tirée du livre « Everest 1978 » – Edition Denoël

6. Doug Scott qui rampe sur l’Ogre

Nous sommes le 13 juillet 1977 sur l’Ogre, sommet pakistanais de 7 285 mètres. Question : sur la photo, quelle est la particularité de l’alpiniste tout de bleu vêtu ? Il s’agit de Doug Scott légendaire alpiniste britannique et il est précédé par le non moins prestigieux Chris Bonington. Oui mais encore ? Eh bien figurez-vous qu’il n’a pas l’air très à l’aise car ses deux chevilles sont brisées… quelques heures plus tôt, il s’est en effet pris une bonne gamelle en pendulant lors d’un rappel.  Après un abominable bivouac, ils réussirent à rejoindre un peu plus bas Mo Anthoine et Clive Rowland – l’un des deux doit être l’auteur du cliché – et entamèrent, dans la tempête, l’une des pires retraites de l’histoire de l’alpinisme. Doug Scott n’ayant pas d’autre solution que de ramper, il leur faudra sept jours pour atteindre le camp de base…

Doug Scott rampant sur l'Ogre
Source: Doug Scott, Chris Bonington Picture Library

7. Le compresseur de Cesare Maestri

En 1959 l’alpiniste italien Cesare Maestri a fait croire à tout le monde qu’il avait réussi l’exploit de gravir le Cerro Torre, sommet de Patagonie pourtant réputé imprenable. En 1970, alors que la controverse n’en finit plus d’enfler, Maestri devient fou et repart à l’assaut du Cerro Torre pour faire taire les critiques. Il emmène avec lui un énorme compresseur thermique qui lui permettra de percer la roche et d’y planter plus de 400 pitons. Pour couronner le tout, le compresseur sera abandonné à flanc de montagne une fois le forfait accompli… Cette voie, la plus laide du monde, sera désormais connue sous le nom de « Voie du compresseur ». Cette photo a été prise par le photographe Lincoln Else, à l’occasion de l’ascension de David Lama, auteur, le 21 janvier 2012, de la première sans utiliser aucun des pitons de Maestri.

Mon article complet sur le sujet: « La triste et lamentable histoire du Cerro Torre ».

Le compresseur de Cesare Maestri
© Lincoln Else/Red Bull Content Pool (source: redbull.com)

8. Le solo de Christophe Profit aux Drus

Le 30 juin 1982 Christophe Profit s’offrait, dans la Directe américaine aux Drus, un solo aux allures de chef d’œuvre. En 3h10, il avalait la fameuse voie ouverte 20 ans plus tôt par les Américains Gary Hemming et Royal Robbins dans la face ouest de cette mythique paroi des Alpes. Pas de corde, pas d’équipement, simplement un petit sac à dos avec de quoi casser la croute en cas de fringale. La photo ci-dessous illustre parfaitement l’étendue de la démesure. Vertige s’abstenir… Elle a été prise par le photographe Vincent Mercié lors d’une reconstitution pour les besoins d’un film – un peu louche – réalisé en 1985 par Nicolas Philibert: « Christophe ». Je l’ai trouvée dans le numéro de juillet/août 2012 du magazine « Vertical ».

Le solo de Christophe Profit aux Drus en 1982

9. Junko Tabei, première femme au sommet de l’Everest

En 1975 des médias japonais organisent une expédition à l’Everest entièrement composée de femmes. Junko Tabei fait partie des quinze alpinistes sélectionnées et le 16 mai 1975, elle est la première femme à atteindre le Toit du Monde. A 35 ans, elle vient d’entrer dans l’histoire et le sherpa Ang Tshering immortalise ce moment qui fera d’elle une star dans son pays. La photo est un peu floue mais elle fera l’affaire.

Onze jours seulement après Junko Tabei, la tibétaine Phantog se dressera elle aussi sur le sommet de l’Everest qu’elle a gravi par la face nord. N’étant pas au courant de l’expédition japonaise passée par le col sud, elle fut persuadée d’être la première femme à réussir cet exploit… pas de bol…

Junko Tabei au sommet de l'Everest
Source: japantimes.co.jp

10. Edward Whymper et la chute au Cervin en 1865

Là j’avoue, j’ai un peu triché… il ne s’agit pas d’une photo mais d’une gravure réalisée par Gustave Doré. Elle représente la fameuse chute de la cordée emmenée par Edward Whymper au Cervin le 14 juillet 1865. On y voit clairement Douglas Hadow glisser et emmener dans sa chute Michel Croz, Charles Hudson et Lord Douglas. Whymper, sauvé par la corde cassée, se rattrape de justesse à un bout de caillou à l’aide sa main gauche. Les Taugwalder père et fils seront épargnés eux aussi. Quelques instants auparavant, les sept hommes avaient atteint le sommet du Cervin marquant ainsi la fin de l’âge d’or de l’alpinisme.

Gravure Cervin 1865 - Gustave Doré
Source: Wikipedia

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