Le jour où le pilier Bonatti s’est suicidé

Quand la légende ne tient plus debout...

Le 22 août 1955, après six jours d’une ascension en solitaire entrée depuis dans la légende de l’alpinisme, le grand Walter Bonatti venait à bout du redoutable pilier sud-ouest du Dru. Cinquante ans plus tard, celui qui était devenu le pilier Bonatti s’effondrait de tout son long, rongé par les remords et l’érosion.

Le pilier sud-ouest du Dru était une sacrée paroi. Un tas de cailloux comme on en fait peu. Les alpinistes les plus téméraires osaient à peine le regarder… ils avaient déjà assez de boulot avec la face ouest voisine si convoitée. Sauf qu’un beau de jour de juillet 1952, à force de tentatives refoulées, quatre français finirent par la dompter cette fameuse face ouest. Magnone, Bérardini, Dagory et Lainé qu’ils s’appelaient les nouveaux héros du Dru ! Le pilier, lui, avait suivi tout ça d’un œil distrait, un peu condescendant: « c’est pas demain la veille qu’un de ces guignols viendra danser sur ma tête ! » pensait-il. Ce qu’il ne savait pas, c’est que pendant ce temps-là, un alpiniste pas comme les autres préparait un coup…

Et le pilier sud-ouest devint le pilier Bonatti

Pour Walter Bonatti, en effet, vaincre la face ouest du Dru c’était bien mais pas top. Pour lui, le vrai problème à résoudre, c’était ce pilier, là, un peu plus à droite. La voie parfaite ne pouvait passer ailleurs que par cette paroi à l’aspect infranchissable. Alors il s’est mis au boulot le Walter ! Une première fois avec Carlo Mauri en 1953. Mais le pilier, mort de rire devant tant d’outrecuidance, les refoula séance tenante. Il y retourna pourtant deux ans plus tard, en juillet 1955, avec deux potes de plus : Andrea Oggioni et Josve Aiazzi. Sans sourciller, Monsieur Pilier les renvoya chez eux à grands coups de chutes de pierre: « retournez grimper dans l’Himalaya les baltringues ! ». C’est alors que Walter s’est fâché.

Le 17 août de la même année, Bonatti s’est présenté au pied du pilier sud-ouest. Seul. Il a lutté pendant six jours, à grands coups marteau, de pendules et d’acrobaties suicidaires pour finir par se dresser au sommet le 22 août, après cinq bivouacs dans la paroi. Le pilier, stupéfait, était vaincu. Jamais il ne put s’en remettre… Désespéré, il passa le reste de sa vie à s’effriter sous les yeux des monchus hilares, avant d’en finir définitivement après cinquante ans de déprime… Le 30 juin 2005, dans un gigantesque fracas, le pilier Bonatti s’écroula. Disparu. Rayé de la carte. Stupeur à Chamonix.

Ludovic Ravanel et la thèse du réchauffement climatique

Sept ans plus tard, un jeune étudiant au patronyme bien connu dans la vallée, tenta de comprendre comment une partie de l’histoire de l’alpinisme avait ainsi pu disparaitre. Ludovic Ravanel a, en effet, consacré sa thèse aux nombreux écroulements rocheux du massif du Mont-Blanc et plus particulièrement dans les Drus. Il a ainsi comparé 400 photos de la face ouest des Drus de 1855 à nos jours pour essayer de comprendre l’évolution de la paroi. Bilan: jusqu’à 1950, pas d’éboulement ou presque mais depuis les années 90, la montagne s’effrite dangereusement et le géomorphologue passionné d’alpinisme – il fait aussi partie de la compagnie des guides de Chamonix – n’hésite pas à faire le rapprochement avec le réchauffement climatique. D’après son étude qui corrobore celles d’autres scientifiques, la dégradation du permafrost, le ciment glacé de la roche, est en partie responsable des éboulements en série qui rectifient le paysages des Alpes et l’inéluctable hausse des températures ne risque pas d’arranger les choses… Walter Bonatti peut reposer en paix, il n’est plus seul responsable de la mort de son pilier !

Sources:

Ci-dessous, une photo sur laquelle on distingue parfaitement – en plus clair – la trace du pilier disparu.

Le pilier Bonatti après l'éboulement de 2005
Source de l’image: Wikimedia Commons

7 Commentaires

  • Pierre Marie Girardot - 24 octobre 2017 à 9 h 00 min

    Ironie du sort … En 2011 si l’on peut s’exprimer ainsi. pendant que je morfondais dans un lit du CHU de Grenoble suite à une rupture du tandon d’Achille, je lisais A Mes Montagnes, de Walter Bonatti. J’ai appris le deuxième effondrement du Grand Dru. Quelques semaines à peine plus tard Walter Bonatti nous quittait. Merci Walter de nous avoir fait vivre avec la simplicité des très grands une histoire insurpassable de l’alpinisme.

  • pierre ballet - 8 février 2018 à 20 h 21 min

    un Homme de bien et super alpiniste.

  • galland - 28 mars 2019 à 12 h 19 min

    un immense respect pour Walter Bonatti!
    réchauffement climatique : et alors ?
    les ecolos oublient une chose fondamentale : de 4 milliards on passe à 7 et bientôt 10 et malgré les progrès naturels de la technique il faut nourrir et chauffer tous ces gens qui ne se soucient pas une seconde du fait qu’ ils ne se prennent pas en charge.
    Les Drus étant très pointus,ils s’eboulent naturellement.

  • André - 13 juin 2020 à 10 h 30 min

    Le lien vers « Des images du pilier du TV Mountain » est rompu.
    Ce serait bien de le recréer.

  • Barrancos - 26 août 2021 à 10 h 26 min

    restons lucide ,impossible de chauffer l’eau de la casserole sans que remue le couvercle remue et se soulève de cause a effet . mon constat après 25ans d’ascensions des voies de légende du croissant alpin mon constat est sans appel le bouquin les 100 plus belles de Gaston n’est plus ce qu’il à pu être j’jusque dans les années 75 seule la moitié descourses qu’il présente sont en conditions et encore ! . lesrapports du Giec ferais bien de noter que si en montagne les aiguilles se déglingue suite à la hausse des températures et nos glaciers disparaisse ,il serait temps que l’on passe des interrogations au actions communes .faute d’avoir les yeux rivés sur les cadrans de l’économie les grand décideurs ferais bien de méditer sur le fait qu’elle est liée à notre habitat ( hoicos en grec ) et toute politique à part considère l’urgence à àgir il est minuit moins cinq à l’orloge de l’apocalypse ! bonne réflexions à chacun , Richard

  • Pierre Marie Girardot - 28 novembre 2022 à 10 h 11 min

    Retour sur le futur … pour quelques corrections :
    Ironie du sort … En 2011 si l’on peut s’exprimer ainsi. pendant que je me morfondais dans un lit dans le service d’orthopédie du CHU de Grenoble suite à une rupture du tendon d’Achille, je lisais « A Mes Montagnes », de Walter Bonatti. J’ai appris le deuxième effondrement sur une paroi de Grand Dru. Quelques semaines à peine plus tard Walter Bonatti nous quittait. Merci Walter de nous avoir fait vivre avec la simplicité des très grands qui ont fait l’histoire, ton histoire insurpassable de l’alpinisme.

  • Gauthier Ida - 10 septembre 2023 à 10 h 43 min

    Walter Bonatti, écrire ton nom me fait frémir.
    J’aurais voulu te connaître pour seulement porter ton sac . Et, pourquoi ne pas rêver,suivre tes pas, au moins lors d’une marche d’approche …! ADMIRATION. EMOTION RESPECT.

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