Louis-Amédée de Savoie

L’explorateur au sang bleu

Par Valentin Rakovsky

Si vous pensiez déjà qu’Horace Bénédict de Saussure et William Augustus Brevoort Coolidge portaient des patronymes trop longs, vous risquez d’être fort déçu par (inspirez) Louis Amédée Joseph Marie Ferdinand François de Savoie-Aoste, duc des Abruzzes (expirez). Celui que nous appellerons plus simplement « le duc » ou « Louis-Amédée » par un évident souci de lisibilité est en effet de sang royal : il est né en 1873 comme héritier du trône d’Espagne, et à l’abdication de son père après seulement deux ans de règne, il retourne à la cour d’Italie. Il a là aussi ses petites entrées, puisque son grand-père Victor-Emmanuel II, son oncle Humbert Ier et son cousin Victor-Emmanuel III se succèderont à la tête du jeune état pendant les trois prochains quarts de siècle.

Rey, Mummery et Petitgax pour professeurs

Une enfance au cœur des intrigues géopolitiques et un début de carrière dans la marine italienne dès l’âge de six ans ne le disposent pas particulièrement à l’alpinisme. Mais sur les terres que possède la maison de Savoie autour du Grand Paradis, le jeune Louis-Amédée découvre la haute montagne auprès d’un frère barnabite, Francesco Denza, et de sa tante la reine Marguerite, grande amatrice de varappe. À vingt ans, il possède déjà une liste de course fournie, comprenant la dent du Géant, la traversée Charmoz-Grépon, le Petit Dru ou la dent Blanche. Ses compagnons de route s’appellent Francesco Gonella, avocat et futur président du Club Alpin Italien (CAI), ou Emile Rey et Joseph Maquignaz, deux célèbres guides valdôtains.

Le jeune duc réussit également en 1894 la deuxième ascension de l’arête de Zmutt au Cervin, aux côtés d’Albert Mummery, déjà auteur de la première quinze ans plus tôt. Un exploit qui vaut au prince la présidence honoraire du CAI de Turin et une admission au prestigieux Alpine Club. Avec le guide de Courmayeur Joseph Petitgax, il complète son CV alpin avec la première de l’aiguille Sans Nom à la Verte, et avec les Grandes Jorasses dont il baptise les quatrième et cinquième pointes des noms de Marguerite, comme sa tante, et Hélène, comme sa belle-sœur.

Les Alpes ? Trop facile !

Mais le terrain de jeu de l’Europe devient trop petit pour Louis-Amédée, qui a des vues sur des sommets plus lointains. En agitant la perspective de redorer le blason de la couronne terni par des défaites militaires, sa tante Marguerite convainc le roi Humbert de financer une expédition en Alaska pour gravir le Mont Saint-Elias. Reculé, difficile d’accès, le sommet de 5 488 mètres a déjà repoussé les tentatives de cinq expéditions à peine arrivées à son pied.

Les qualités du duc comme chef d’expédition se révèlent tout de suite. Il calcule les quantités de marchandises, le nombre des porteurs et de traîneaux. Il s’entoure des guides Maquignaz, Croux et Petitgax, ainsi que du photographe Vittorio Sella, neveu du ministre des Finances Quitino Sella, et de son ami Gonella. Le 30 juillet 1897, tout ce petit monde est au sommet.

L’expédition accouche du triomphe national tant espéré par le roi Humbert, et Louis-Amédée devient un personnage très médiatisé. C’est suffisant pour obtenir de nouveaux financements et repartir en voyage… au Pôle Nord. En fin stratège et au prix de deux phalanges, il mène l’expédition au-delà du 86ème parallèle, un record pour l’époque.

Toujours avec la même équipe, et secondé par Umberto Cagni, il s’attaque en 1906 aux « montagnes de la Lune », le massif du Ruwenzori en Ouganda (5 109 mètres). C’est une véritable razzia : bravant la boue et le brouillard, les membres de l’expédition se promènent sur quatorze sommets que le duc baptise des noms des membres de sa famille (heureusement assez nombreuse). Louis-Amédée revient même en Europe avec une nouvelle localisation des sources du Nil. De quoi faire le succès de grandes tournées de conférence sur tout le Vieux Continent, auxquelles se presseront William Conway, Edward Whymper ou le roi d’Angleterre Edouard VII.

Le « kappa due » comme baroud d’honneur

Le dernier fait d’armes du duc sera l’exploration du Karakoram en 1909. À la tête de plusieurs centaines de porteurs, il parvient au pied du K2 (8 611 mètres) dont Vittorio Sella fait les premières photographies connues. Le duc a les yeux plus gros que le ventre et entreprend l’ascension de l’arête sud-est du deuxième sommet du monde, une voie imaginée sept ans plus tôt par le docteur Jules Jacot-Guillarmod, pendant une expédition menée par Oscar Eckenstein et qui comprend aussi l’extravagant Aleister Crowley. Comme on en a désormais l’habitude avec Louis-Amédée, quelques lieux de la région seront baptisés, respectivement les Pics de Savoie, le Glacier de Savoie… et donc cette arête, l’éperon des Abruzzes. À 6 666 mètres d’altitudes, ils rebroussent chemin et se rabattent sur d’autres sommets alentours. Le Skyang Kangri (7 544 mètres) et le Chogolisa (7 654 mètres) se refusent eux aussi aux Italiens. Mais juste avant de renoncer à ce dernier, devant les mêmes corniches fatales un demi-siècle plus tard à Hermann Buhl, ils battent le record d’altitude de l’époque, 7 498 mètres. L’honneur est sauf, même si l’expédition n’aura pas autant de retombées médiatiques que les précédentes.

Louis-Amédée se cantonnera dans les années suivantes, Guerre Mondiale oblige, à son rôle d’officier dans la marine italienne. Il terminera sa vie en Somalie, dans un village qu’il a fondé lui-même autour d’une exploitation agricole. Quelle vie !

Bibliographie :

  • Le Duc des Abruzzes, gentleman explorateur, Mirella Tenderini et Michael Shandrick (Guérin, 2009)
  • La folie du K2, Charlie Buffet (Guérin, 2004)

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