Le K2, un cas à part
Les Polonais sont en approche ! Les dernières nouvelles les annoncent quelque part entre Askole et le glacier du Baltoro où les attend leur camp de base. Juste le temps pour nous, pleutres observateurs frileux, de nous pencher sur le cas du K2 et sa folle histoire qui n’attend plus que sa dernière pierre, la plus difficile à tailler : l’hivernale.
1902 : Western spaghetti aux Abruzzes
L’histoire du K2 et ses 8 611 mètres est en enchainement de nouvelles toutes plus folles les unes que les autres. Pour un peu, on la prendrait pour la suite du K, célèbre recueil de Dino Buzzati, lui-même alpiniste averti. Après la traditionnelle et ennuyeuse période d’exploration, les choses sérieuses commencèrent le 29 juin 1902 lorsque l’alpiniste Oscar Eckenstein, le docteur suisse Jules Jacot-Guillarmod et le poète azimuté Aleister Crowley entreprirent de poser un pied sur la « montagne des montagnes ». La légende (probablement inventée) raconte que le choix de l’itinéraire se joua à grands coups de menaces au pistolet, façon western à 6 000 mètres. Crowley, le truand, n’acceptant pas de suivre les directives de Eckenstein, la brute, et la voie suggérée par Jacot-Guillarmod, le bon. Las, la fine équipe fera finalement demi-tour à 6 500 mètres, guns dans les sacs à dos et moral en berne.
Aujourd’hui plus besoin de se battre pour savoir quelle est la voie la plus logique vers le sommet du K2. Tout le monde sait que c’est l’arête sud-est, communément appelée la voie des Abruzzes, du nom de l’explorateur italien Louis-Amédée de Savoie alias le duc des Abruzzes qui fut finalement le premier à l’emprunter lors d’une tentative en 1909. Le sens de l’itinéraire était bon mais pas la météo : demi-tour à 6 700 mètres pour le duc et ses sbires qui rentrent en Europe où la guerre menace et empêchera tout projet d’expédition pendant plusieurs années. Il faut ainsi attendre 1929 pour voir à nouveau des hommes s’avancer vers la gigantesque pyramide. A leur tête, Aymon de Savoie-Aoste, duc de Spoleto et neveu du duc des Abruzzes. Mais l’expédition, à laquelle prend part Ardito Desio, futur chef de l’expédition de 1953, n’atteindra même pas le pied de la montagne. Il faudra revenir, encore et encore…
« Cappa due » ou « Kay two » ?
Le « Cappa due » fascine les Italiens mais pas seulement. Les Américains aussi se verraient bien au sommet du « Kay two ». En 1938, l’American Alpine Club reçoit un permis d’ascension et confie les rênes de l’expédition à Charles Houston déjà présent à la Nanda Devi deux ans plus tôt. Avec Paul Petzoldt ils atteignent 7 800 mètres puis rebroussent chemin, épuisés et persuadés de revenir en vainqueurs l’année suivante. Mais en 1939, rien ne se passe comme prévu. L’expédition Houston a englouti tout le budget et aucun alpiniste de pointe ne peut se libérer pour accompagner Fritz Wiessner qui a hérité du bébé et doit se rabattre sur des seconds couteaux pour l’accompagner.
Du début à la fin, cette expédition se déroule dans la cacophonie la plus totale. Les problèmes de santé, de matériel, de communication et de mutineries plombent le moral des hommes qui ne pensent qu’à plier bagage. Tous sauf un : Wiessner. Pendant que la débandade s’organise en bas, il grimpe, grimpe et grimpe jusqu’à atteindre l’altitude de 8 367 mètres. Le 19 juillet, le sommet est en vue mais il est tard et Pasang Lama, le sherpa qui l’accompagne, a peur du noir : « Trop tard Sahib, demain ». Wiessner enrage et pense revenir le lendemain mais Pasang perd ses crampons à la descente. Le sommet est manqué mais le pire reste à venir… Au camp VIII, ils découvrent le pauvre Dudley Wolfe abandonné de tous et gisant des ses excréments. Il mourra finalement après avoir passé trente huit jours dans la zone de la mort…
31 juillet 1954 : jour de gloire… et de honte
En 1953, Charles Houston revient au K2 mais de cette expédition, on retiendra essentiellement la mort de Art Gilkey qui a donné son nom au célèbre mémorial sur lequel on vient aujourd’hui graver les noms de ceux qui tombent sur la montagne. Sur le chemin du retour, Houston croise Ardito Desio et Riccardo Cassin (qui sera finalement écarté de l’équipe) en reconnaissance pour l’année suivante, celle qui allait enfin voir des hommes au sommet du K2. Tout le monde connait la suite. Le 31 juillet 1954, Lino Lacedelli et Achille Compagnoni sont au sommet et tous les Italiens fêtent ce succès historique ! Tous sauf Walter Bonatti. Abandonné avec son sherpa à 8 000 mètres au sort incertain d’un bivouac glacial, Bonatti l’a mauvaise. Il faudra des années pour que la vérité soit enfin rétablie et que les héros deviennent les salauds.
Vingt trois ans. C’est le temps écoulé entre la première et la seconde ascension du K2. C’est des Japonais qui atteindront la cime via l’éperon des Abruzzes, le 9 août 1977. L’année suivante, Louis Reichardt, Jim Wickwire, John Roskelley et Rick Ridgeway ouvrent une nouvelle voie en empruntant l’arête nord-est. Parmi les autres ascensions notables, nous retiendrons la première du pilier sud-ouest (la fameuse « Magic Line » imaginée par Reinhold Messner) par une équipe polonaise en 1986 puis la première de l’arête nord-ouest en 1991 par les Français Pierre Béghin et Christophe Profit. Et puisque c’est en partie l’itinéraire prévue par l’expédition hivernale polonaise, notons que la voie des Basques a été ouverte en 1994* par Juanito Oiarzabal et ses compagnons. Les quelques tentatives hivernales (1988, 2003, 2012 et 2015) n’ont jamais jamais atteint les 8 000 mètres.
1986 et 2008, années tragiques au K2
Sans vouloir porter la poisse aux Polonais, il convient ici de rappeler que le K2 est une montagne dangereuse et parfois cruelle. Les nombreuses plaques métalliques qui s’entassent sur mémorial Gilkey en sont le terrible témoignage. Sur l’une d’entre elles, on peut par exemple, lire le nom d’Alison Hargreaves, charismatique alpiniste britannique disparue lors d’une violente tempête en 1995. On trouve aussi, çà et là, les noms de ceux tombés lors du dramatique été 1986. Cette année-là, vingt-sept alpinistes atteignirent le sommet mais treize trouvèrent la mort, presque tous à la descente… Alan Rouse, Renato Casarotto ou encore les époux Barrard furent de ceux-là.
En 2008, c’est onze alpinistes qui furent piégés par une chute de sérac qui sectionna des cordes fixes dans le redouté passage du Bottleneck. Le français Hugues D’Aubarede en faisait partie. Il a aujourd’hui sa plaque sur le mémorial… Mais si le K2 est aussi dangereux c’est surtout parce que son ascension, même par la voie des Abruzzes, est d’une grande difficulté. D’après le site 8000ers.com, seuls un peu plus de 300 alpinistes ont à ce jour atteint sa cime (contre plus de 8 000 à l’Everest). Et pour l’instant, aucun en hiver.
* Cette voie est aussi appelée « voie Cesen » mais comme avec Tomo l’escroc, on est jamais sûr de rien, nous nous en tiendrons aux Basques.
Bibliographie :
- Le K2, une grande montagne pour de petits hommes – Mirella Tenderini – Editions Glénat
- La folie du K2 – Charlie Buffet – Editions Guérin
Photo du K2 prise par Vittorio Sella lors de l’expédition de 1909.
1 Commentaire
Mez - 16 mars 2018 à 20 h 53 min
Les Photos de Vitorri Sella son grandiose en 1909!!! on a rarement fait mieux.
Que cette montagne est belle , puissante.envoutante!
Arrivé a son sommet est un rêve pour tout grimpeur mais elle ne se laisse pas charmée comme cela, il faut la séduire et accepté ses conditions,C elle qui dicte sa loi, point à la ligne.
C une montagne que j aime profondément et sa beauté me le rend bien par contre parfois je la trouve cruelle et sans pitié.
C pour cela qu’ il faut l écouter et s arrêter a temps avant de se faire rejeter ou parfois engloutir
300 summiters,8000 pour l Everest, les chiffres parlent d eux même!!
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